Les effets se font sentir sur leur fonctionnement et par conséquent, sur les personnes en quête de transition.

C’est une information qu’avait donnée le ministre de l’Emploi du Développement de la main-d’œuvre et des langues officielles, Randy Boissonnault. En visite à Winnipeg à l’occasion d’un forum pancanadien sur le marché du travail, le ministre avait annoncé, à la mi-janvier 2024, que le Canada comptait 90 000 postes vacants dans le milieu de la santé.

Cela fait quelques années maintenant que l’on parle de pénurie de main-d’œuvre au Canada. Et, dans les milieux hospitaliers en particulier, les effets de cette dernière sont graves. Le personnel est surmené, les temps d’attente aux urgences trop longs et certains services peinent à fonctionner normalement.

C’est aussi l’un des principaux problèmes auxquels font face les cliniques de soins d’affirmation de genre.

D’ailleurs, il n’existe au Manitoba qu’une seule clinique qui offre ces types de soins et d’accompagnement : Klinik Community Health.

Une communauté importante

Une seule clinique, pour une population qui n’est pourtant pas anecdotique. C’est en tout cas ce que les chiffres donnés par Parker Morran, qui est travailleu.r.se social.e au sein de Klinik. Iel est responsable des rendez-vous d’admission. Son rôle consiste aussi en l’accompagnement moral des personnes qui sont sur les listes d’attente pour des soins d’affirmation de genre.

Iel explique : « Notre liste d’attente ne diminue pas, soit elle reste la même, soit elle augmente. Elle compte aujourd’hui 500 personnes et nous en avons 20 de plus qui s’inscrivent chaque semaine. »
Des chiffres qui sont loin d’être anodin, et qui paraissent importants, surtout lorsque comparés aux don- nées récoltées par Statistique Canada. L’organisme gouvernemental, dans son recensement inclusif de la population canadienne, établissait à 100 800, le nombre d’individus transgenre ou non binaire au Canada.

Au Manitoba, le recensement faisait état de 1 020 hommes transgenres, 1 010 femmes transgenres. Mais, Parker Morran n’a pas su dire si une augmentation de la demande avait été observée au cours des dernières années. En revanche, iel observe que les membres de la communauté LGBTQ+ cherchent dorénavant plus facilement de l’aide lorsqu’ils en ont besoin.

Hausse des demandes

De son côté, Ashley Smith, directeur du plaidoyer au Rainbow Resource Centre, pense qu’une hausse des demandes existe depuis 2017. « Parce que l’identité de genre et l’expression de genre sont protégées par le Code des droits de la personne du Manitoba (1), de plus en plus de personnes de tous âges font leur coming-out, ce qui entraîne une demande croissante sur le système qui le rend de plus en plus difficile à gérer. »

Ashley Smith
Ashley Smith est directeur du plaidoyer au Rainbow Resource Centre. (photo : Gracieuseté)

Pour comprendre la difficulté que rencontre la clinique à faire diminuer la taille de la liste d’attente, il faut se pencher du côté de l’organisation. « À l’heure actuelle, nous sommes trois travailleurs sociaux responsables des rendez-vous d’admission. Nous pouvons faire 10 rendez-vous par semaine, mais nous avons 20 personnes inscrites en moyenne sur la même période. Alors nous avons du mal à prendre de l’avance. »

Mais finalement, ce n’est même pas l’objectif, « si l’on prend trop d’avance, c’est l’équipe médicale qui n’est plus en mesure de suivre », indique Parker Morran qui précise que l’équipe médicale, elle aussi, manque de main-d’œuvre. Pour ne rien arranger, le Manitoba ne compte que deux chirurgiens spécialisés dans les opérations du haut du corps, entre autres, « la réduction ou l’augmentation mammaire ». « L’un d’entre eux a une liste d’attente de six mois, l’autre un an. »

Pour toutes les chirurgies qui concernent le bas du corps, appelées chirurgie de réattribution sexuelle, « les patients doivent se rendre à Montréal » où la situation n’est pas nécessairement meilleure. Là-bas aussi, les délais d’attente sont souvent longs. De plus, il s’agit de lourdes interventions qui nécessitent un suivi médical méticuleux. La distance avec les chirurgiens peut donc parfois poser problème.

Conséquences sur les personnes

Un an d’attente, pour une personne qui est en plein processus de transition, c’est un an de plus dans un corps dans lequel elle est mal à l’aise. « L’attente a un impact important sur la santé mentale, souligne Parker Morran. Les études montrent que la période la plus dure est la première période d’environ huit mois pendant laquelle on attend de débuter le processus de référence pour une chirurgie. C’est beaucoup d’attente et ce n’est pas facile de se regarder dans le miroir et de ne pas y voir ce que l’on souhaite. »

Et Ashley Smith corrobore cette idée, mettant l’accent sur la situation au rural. « Il y a un soutien grandissant envers les personnes qui cherchent à transitionner, mais l’accès aux soins et au soutien psychologique est encore trop limité. Et cela tue littéralement, déplore-t-il. Il y a un fort taux de suicide et de tentatives de suicide chez les jeunes de la communauté LGBTQ+, en particulier dans les communautés rurales, où il y a un accès d’autant plus restreint à l’aide requise. »

Pour les gens souffrant de dysphorie de genre, ce n’est pas seulement une question d’accès à de la chirurgie. Ashley Smith fait mention d’autre chose : « Pour beaucoup, la transition commence avec une hormonothérapie et n’importe quel docteur peut le prescrire. » Il explique cependant que les prescriptions sont encore trop rares au rural.

Prescriptions encore rares

Du côté de Klinik Community Health, les choses semblent évoluer dans la bonne direction. « Nous avons du progrès depuis que j’ai rejoint l’équipe, fait valoir Parker Morran. Nous avons pu passer d’une ouverture trois jours par semaine pour la santé trans à un fonctionnement à plein temps. C’est pareil pour l’équipe médicale qui travaille elle aussi à plein temps. »

(1) En effet, le Code a été modifié en juin 2012 pour y intégrer la protection des personnes transgenres contre la discrimination. Selon le code : L’identité de genre est comprise comme faisant référence à l’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun. Le genre renvoie « aux rôles, aux comportements, aux activités et aux attributs sociaux qu’une société donnée considère comme appropriés pour les hommes et pour les femmes ». L’identité de genre des transgenres ne corres- pond pas à leur sexe biologique. L’identité de genre des transsexuels ne correspond pas à leur sexe biologique et ils cherchent à faire le nécessaire pour que leur apparence physique concorde avec le fait qu’ils se sentent homme ou femme. Ils peuvent ainsi changer leur apparence physique et s’habiller en fonction de cette identité, et recourir à des traitements médicaux comme l’hormonothérapie et la chirurgie. Les personnes à l’identité de genre variante expriment cette identité d’une façon qui n’est pas conforme aux normes dominantes pour les garçons et les filles, les hommes et les femmes (Commission des droits de la personne du Manitoba, « Protection contre la discrimination fondée sur l’identité de genre »).

Qu’est-ce que la dysphorie de genre?

Le terme dysphorie de genre est un diagnostic officiel du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux aussi appelé DSM-5. Pour information, le DSM-5 est une sorte d’encyclopédie, un livre de référence utilisé par les professionnels de la santé pour diagnostiquer les troubles mentaux. Il répertorie tous les troubles connus à ce jour.

La dysphorie de genre, y est définie comme suit : « Inconfort ou détresse liés à une incongruence entre l’identité de genre d’un individu et le sexe attribué à la naissance. »

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