Colette Brin, la directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université de Laval, a corédigé la partie sur le Canada.

Réalisé à la suite d’un sondage effectué au-près de 100 000 personnes entre janvier et février 2024 dans 47 pays à travers le monde, le Digital News Report permet de mieux comprendre comment l’actualité produite par les médias est perçue. Parmi certains faits saillants de cette cuvée 2024, on retrouve des tendances existantes depuis plusieurs années, qui sont restées stables ou se sont aggravées.

Par exemple, la confiance dans les informations se situe à 40 %. Elle reste globalement inférieure de 4 points à ce qu’elle était au plus fort de la pandémie de coronavirus. 

L’évitement des nouvelles

Aussi, 39 % des personnes déclarent qu’elles évitent parfois ou souvent les informations. Il s’agit d’une augmentation de 3 points par rapport à la moyenne de l’année dernière, avec des hausses plus importantes au Brésil, en Espagne, en Allemagne et en Finlande. L’inquiétude pour discerner le vrai du faux sur internet a augmenté de 3 points de pourcentage au cours de l’année écoulée : environ six personnes sur dix (59 %) se déclarent préoccupées. Ce chiffre est considérablement plus élevé en Afrique du Sud (81 %) et aux États-Unis (72 %). 

Au sujet de l’intelligence artificielle (IA), cette technologie impacte aussi le monde du journalisme. Une majorité des personnes interrogées aux États-Unis sont mal à l’aise avec l’utilisation de l’IA dans les situations où le contenu journalistique est créé principalement par l’IA, avec une certaine supervision humaine. Un pourcentage qui s’élève à 52 % aux États-Unis et à 47 % en Europe.

La gêne est toutefois moindre lorsque l’IA est utilisée pour aider les journalistes dans des tâches plus techniques et chronophages, comme retranscrire des entrevues ou résumer des documents à des fins de recherche. Là, le pourcentage baisse à 30 % aux États-Unis et à 26 % en Europe.

À l’ère de l’IA

Pour la directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université de Laval, ces don-nées ne représentent pas des tendances « réjouissantes » pour les médias et le journalisme conventionnel. Colette Brin résume : « Il existe encore une tendance très forte d’utiliser des médias sociaux pour s’informer, même si une perception assez critique du rôle du géant du numérique Meta émerge. 

« Aussi, même chez les per-sonnes les plus âgées, les 65 ans et plus, la consommation de la télévision comme principale source d’information diminue. Ça ne veut pas dire qu’elle va disparaître, tout comme le papier ne devrait pas disparaître. Mais leurs parts se réduisent. Le passage au numérique qu’on observe depuis longtemps maintenant, s’impose toujours plus concrètement. »

Alors qu’au Canada les nouvelles sont bloquées sur les plateformes dirigées par Meta (Facebook, WhatsApp, Instagram) depuis l’application de la Loi sur les nouvelles en ligne de décembre 2023, dans de nombreux pays on constate une diminution de l’utilisation de Facebook pour prendre connaissance des actualités. Si 36 % des personnes interrogées utilisaient Facebook pour s’informer en 2014, elles ne sont plus que 26 % en 2024. Facebook est désormais talonné par YouTube qui a l’attention de 22 % des sondés en 2024.

Les particularités canadiennes

Même s’il est encore difficile de mesurer l’impact du blocage de Meta sur les habitudes de consom-mation de l’information des Canadiens et Canadiennes, la baisse de son utilisation est aussi remarquable. 

En 2016, près d’un utilisateur canadien sur deux (46 %) déclarait avoir utilisé Facebook pour s’informer. Ils n’étaient plus que un sur quatre (25 %) en 2024. Et pour la première fois depuis que le Canada participe à l’enquête planétaire, YouTube (29 %, une hausse de 4 points) est davantage utilisé que Facebook pour s’informer au pays.

Pour la première fois en 2024, l’enquête canadienne s’est intéressée à certains types de vidéos en ligne consultés par les répondants lorsqu’il s’agit de s’informer sur l’actualité. 57 % des Canadiens (59 % des anglophones et 48 % des francophones) disent regarder au moins une fois par semaine de courtes vidéos d’actualités pour s’informer.

Confiance encore en baisse

En général, la confiance exprimée envers la plupart des nouvelles proposées par les médias continue à fléchir au pays : seulement 39 % (-1 point par rapport à 2023) des Canadiens font confiance. Il s’agit du plus bas score obtenu par le Canada dans l’enquête jusqu’ici. 

Par contre, il demeure au-dessus des résultats des États-Unis (32 %) ou de la France (30 %). Par ailleurs, comme c’est le cas depuis plusieurs années déjà, les anglophones sont moins enclins à accorder leur confiance (37 %, un résultat similaire à celui de 2023) à la plupart des nouvelles que les francophones (46 % ; -3 points).

Colette Brin évalue ainsi les plus récentes données : « Comparé aux autres pays, ce document montre que par rapport à notre appréciation des médias, on se trouve dans une moyenne supérieure. C’est sûr que plusieurs pays d’Europe, notamment les pays scandinaves, obtiennent de meilleurs résultats. Il s’agit là de pays qui ont une histoire de confiance, d’habitudes, de soutien en faveur des médias d’information. 

« On remarque qu’en général, les données sont plus favorables pour les francophones que les anglophones. Seule différence notable : les anglophones ont payé plus pour accéder à des nouvelles en ligne en 2024 que les francophones. Il faut à cet égard préciser qu’il y a moins d’abonnements à des médias étrangers chez les francophones que chez les anglophones. »

À quoi ressemble un média en 2024? 

Médias sociaux, IA, balado, numérique, télévision, papier, radio : le Digital News Report permet aussi de mieux saisir ce qui intéresse les consommateurs à travers les différents pays du globe.

Colette Brin esquisse le portrait-robot du média d’information en 2024, au regard des multiples résultats du document. « Quand on voit ce qui fonctionne, c’est effectivement des contenus qui plaisent aux jeunes, qui ont une part de divertissement, un divertissement orienté vers le sport, la musique, les sorties, et ce, particulièrement dans les milieux urbains. 

« On constate aussi que le contenu insolite est apprécié. Les vidéos courtes, mais aussi de plus longues, sont recherchées. Au demeurant, la vidéo prend de plus en plus de place dans les habitudes de consommation. Le balado est également en croissance. »

Dans un panier de 20 pays, un peu plus d’un tiers des sondés (35 %) accède à un balado tous les mois, dont 13 % touche une émission liée à l’information et à l’actualité, précise le Digital News Report de 2024.

Le Canada dépasse le pourcentage global des répondants internationaux. En effet, la part de répondants canadiens ayant écouté un balado (d’actualité ou non) dans la semaine précédant l’enquête atteint son plus haut niveau jamais mesuré au pays dans le cadre de cette étude (41 %, + 8 points par rapport à 2023). Cette pratique est considérablement plus répandue chez les anglophones (44 %) que chez les francophones (29 %).

Colette Brin pense par ailleurs que le média type de 2024 peut difficilement éviter l’utilisation de l’IA pour son travail. « On parle ici d’utilisation originale et audacieuse. Bien sûr, la question de l’éthique et de la confiance reste toujours une préoccupation. Des considérations qui demeurent cependant encore abstraites pour bien des gens. On devra poser plus de questions sur ce sujet dans le sondage de l’année prochaine. »