Où? Dans les ruines du monastère des trappistes à Saint-Norbert, à l’occasion de la nouvelle saison de Shakespeare in the Ruins (1).

À la fin d’Othello de William Shakespeare, l’antagoniste Iago est escorté par un geôlier anonyme en criant qu’il sera de retour. Iago fait sa sortie, la pièce se termine. Le public applaudit. Sur le chemin du retour à la maison, aucun ne s’interroge sur la suite de l’histoire qui se termine sur les applaudissements. Shakespeare in the Ruins a voulu tenter l’expérience du après. 

Parce que pour Rodrigo Beilfuss, directeur artistique de Iago Speaks, l’histoire ne se termine pas au moment des applaudissements. « Cette pièce défend les personna-ges secondaires des histoires. Daniel Macdonald était fas-ciné par les personnages sans nom dans Othello, comme les soldats ou le geôlier. Il s’est posé une question fructueuse : Et si les personnages secon-daires devenaient les person-nages principaux ? »

Cette oeuvre, conceptua-lisée il y a dix ans, cherche à poursuivre l’histoire d’Othello. Elle met en vedette Arne MacPherson dans le rôle de Iago, un rôle qu’il a joué voilà quinze ans. Maintenant, Iago a la chance de donner sa propre version des évènements.

Dans ce rôle, il est rejoint par Joshua Beaudry, qui joue le geôlier anonyme. Dans la pièce originale, il reste sans nom pour la durée de son temps sur scène. Et dans cette version, il se demande et demande à Iago pourquoi il n’a pas de nom. 

Le quatrième mur au théâtre

Rodrigo Beilfuss explique que cette nouvelle pièce remet en question des traditions théâtrales imposées par William Shakespeare. « Il s’agit d’une provocation insolente pour continuer l’histoire d’Othello. Elle se moque également de Shakespeare : le geôlier demande pourquoi Iago utilise 18 mots pour une phrase qui pourrait être résumée en trois. 

« En même temps, la pièce brise le quatrième mur. Shakespeare a, en quelque sorte, inventé ce concept avec ses monologues et ses soliloques. En brisant ce quatrième mur, la pièce perpétue également la tradition du quatrième mur. 

« D’une certaine manière, les oeuvres de Shakespeare ont rompu avec les règles du théâtre classique grec. Il a été considéré comme un génie à son époque. »

La percée du quatrième mur est réalisée par le personnage du geôlier, qui découvre qu’il joue dans une pièce de théâtre en prenant conscience du public. Il réalise que les gens doivent être présents pour voir une pièce, et se montre déterminé à leur raconter une histoire avec Iago, qui n’a aucune idée de ce dont parle son partenaire de scène. 

Chaque spectacle est différent des autres

Joshua Beaudry est encouragé par Rodrigo Beilfuss d’interagir avec ceux et celles qui viennent voir la pièce. Ainsi, chaque spectacle est différent des autres. 

Joshua Beaudry change la manière dont il parle, pas uniquement avec Iago. Mais avec le public aussi. Son jeu dépend du nombre de personnes présentes et de leur énergie, ce qui enthousiasme Rodrigo Beilfuss. « Joshua Beaudry et Arne MacPherson s’éclatent dans leurs rôles. C’est une pièce tellement riche pour deux acteurs au sommet de leur art. »

Cette pièce contemporaine est accessible. La langue utilisée fait certes référence à la langue du 16e siècle, mais d’une manière compréhensible pour un public moderne. Le scénario interroge les figures de style utilisées du temps de William Shakespeare de manière à la fois critique et satirique pour donner une chance aux non-fans du dramaturge de rigoler avec les comédiens. 

Une expérience en soi

Et pour les personnes qui n’ont jamais vu une pièce de Shakespeare ? Outre le fait d’assister à un spectacle vivant unique, ils ont la possibilité de visiter les ruines du monastère des Trappistes. 

Rodrigo Beilfuss : « Les ruines sont très évocatrices, pleines d’atmosphère. Les échos du passé restent pré-sents dans cet espace. C’est une des raisons pour laquelle la compagnie Shakespeare in the Ruins a décidé de monter ses pièces à Saint-Norbert. 

« Cet environnement en plein air est aussi un hommage aux pièces de Shakespeare qui ont été initialement jouées de cette manière. C’est ce qui a donné à la compagnie une autre raison de jouer dans les ruines. Sans l’obscurité d’un théâtre, les comédiens peuvent interagir de façon plus authentique avec leur public, et le directeur dispose d’un espace bien plus grand pour sa mise en scène ». 

Un espace dont profite le directeur artistique, puisque pour la deuxième pièce de la saison, A Midsummer Night’s Dream, le public devra se déplacer à différents endroits des ruines. (2) 

(1) Iago Speaks, depuis le 14 juin et jusqu’au 7 juillet.

(2) Pièce depuis le 6 juin jusqu’au 6 juillet.