De la pandémie à la pénurie d’enseignants, sans oublier le projet de loi 64, elle revient sur les temps forts de sa présidence.

Vice-présidente de 2018 à 2020, vous avez été élue à la présidence des ÉFM en mai 2020, au début de la pandémie. Comment se sont passés les premiers mois de votre mandat?

Dès mes premières semaines à la présidence, les médias m’appelaient pour m’interroger sur les décisions du gouvernement provincial concernant nos écoles. Il fallait aussi partager nos informations avec le ministère sur le quotidien de ceux et celles qui étaient sur le terrain. Et vice versa.

Ce n’était pas toujours évident. Parfois, les règles des restrictions sanitaires changeaient chaque jour. C’était donc vraiment important que je comprenne bien la réalité pour chaque école, les défis à relever, pour mieux en parler à ceux qui prenaient les décisions pour la santé et la sécurité des élèves et des enseignants.

Vous avez donc mis un point d’honneur à rencontrer les enseignant.e.s aussi souvent que possible…

Oui, ça a toujours été une priorité pour moi durant ces quatre ans. Non seulement en virtuel, mais aussi en personne, quand les restrictions sanitaires le permettaient. 

On a fait venir des enseignants de partout à nos évènements. On est aussi allé chez eux quand les écoles étaient à l’aise de nous accueillir. Nous avons fait des grandes tournées provinciales pour connaître les réalités quotidiennes de nos membres, surtout dans les régions où le français est très minoritaire. 

Qu’est-ce que ça veut dire quand tu es la seule personne francophone de ton village? De ta division scolaire? Je crois que si on n’est pas au contact de nos membres dans leurs milieux, on ne peut pas vraiment comprendre et répondre à leurs besoins professionnels et personnels. Se sentir accueilli.e et soutenu.e, c’est essentiel pour assurer la rétention du personnel enseignant.

Votre présence sur le terrain a dû être appréciée…

Absolument. Ça a permis de créer des liens. Après, le monde n’était plus gêné de nous appeler pour n’importe quelle raison. Quand on sort les membres de leur milieu et qu’on les fait venir à Winnipeg, ce n’est pas pareil. Ils osent moins s’exprimer, demander.

Suite à ces discussions avec les membres, on a agrandi l’accessibilité à nos programmes et services. Nos cinq comités permanents (1) offrent aujourd’hui plus d’appui, de stratégies et d’octrois qu’avant. On a d’ailleurs ajouté un sixième comité permanent, celui des femmes en leadership scolaire.

C’était d’abord un comité spécial en 2021-2022, puis à l’AGA de 2023, une motion a été approuvée pour en faire un comité permanent. Un financement lui a été attribué. En mai 2024, on a organisé notre troisième soirée-conférence des femmes en leadership scolaire.

Un Comité donc spécialement voulu pour les femmes…

Il y avait un grand besoin. Et même s’il existait déjà un comité similaire au niveau de la Manitoba Teachers’ Society (MTS), c’était important pour moi de pouvoir répondre aux besoins spécifiques des femmes francophones. 

Ce n’est pas facile aujourd’hui de prendre sa place comme femme, francophone et leadeuse. Chaque année, une soixantaine de femmes viennent à la conférence, et on sait qu’il y en a beaucoup d’autres qui se sentent concernées, mais qui ne peuvent pas se libérer pour venir.

On y rencontre des directrices, des leadeuses pédagogiques, des membres de divisions scolaires, des leadeuses syndicales ou communautaires. Mais aussi des femmes qui aspirent à prendre des rôles de leadeuses. Avec cette conférence, on peut toutes s’encourager les unes les autres, trouver de la force dans le groupe. 

Vous avez évoqué la MTS. Il semble que vos relations se sont beaucoup renforcées durant les quatre dernières années… 

Il y a toujours eu des liens entre la MTS et les ÉFM. Mais là, j’ai en effet l’impression qu’il n’y a plus un moment où la MTS oublie l’éducation en français. Lors des rencontres du président de la MTS, Nathan Martindale, avec le ministre de l’Éducation, il y a toujours un point sur l’éducation en français à son agenda. 

De fait, je pourrais vraiment passer presque toutes mes journées en français à la MTS. Plusieurs cadres administratifs parlent français, les adjointes administratives aussi. L’atout francophone a pris plus d’importance dans le processus d’embauche. 

J’ai remarqué aussi que les membres de la MTS participaient souvent à nos évènements. Je crois qu’ils aiment notre convivialité, notre joie de vivre. 

Nathan Martindale était d’ailleurs régulièrement présent aux évènements des ÉFM… 

Non seulement il y assistait, mais il a appris le français. Quand j’ai commencé comme présidente, il pouvait juste faire deux ou trois phrases en français. À l’AGA des ÉFM le 26 avril, il a donné un discours tout en français! 

C’était beau de voir tous ses efforts pour rejoindre les membres des ÉFM, qui sont bien sûr aussi membres de la MTS, dans leur langue. 

Quel est votre secret pour attirer autant de monde vers la francophonie et les ÉFM? 

C’est ma façon de travailler. J’invite le monde. Je partage. Je bâtis des liens. Et comme je mets toujours l’accent sur le positif, ça donne plus envie de travailler ensemble. 

Après ces quatre ans, j’ai établi tellement de relations que je peux voyager presque n’importe où dans la province et y retrouver des ami.e.s. 

Je connais aussi mieux ma francophonie manitobaine. Avant, je faisais mes petites affaires dans mon école. Je ne réalisais pas à quel point nous partagions des buts communs et à quel point nous avions le potentiel de faire avancer les choses, ensemble, pour l’avenir. 

Justement, vous avez revendiqué avec fermeté contre le projet de loi 64 du gouvernement provincial, déposé en 2020, qui proposait une réforme du système d’éducation manitobain. Un moment de grande tension dans toute la province, qui s’est soldé par le retrait du projet de loi en 2022. Comment l’avez-vous vécu? 

Ça a été une période très inquiétante. Le projet de loi parlait de réforme, d’amalgamer les divisions scolaires. Mais quand on entendait les commentaires du Premier ministre et du ministre de l’Éducation, c’était évident qu’ils ne comprenaient pas les expériences des enseignant.e.s. Ils n’avaient pas idée de ce qui se passait vraiment dans les écoles. 

Le positif de cette expérience, c’est que tous les partenaires du milieu de l’éducation ont réussi à travailler ensemble pour y faire face. On a su communiquer ce qui était important pour nous. L’unité nous a permis une belle victoire. 

Et on continue d’être entendu. Après sept ans, le gouvernement de Wab Kinew vient de rétablir le poste de sous-ministre adjoint au Bureau de l’éducation française (BEF). René Déquier prendra le poste dès cet été. 

Mieux encore, le BEF ne sera plus une simple branche sous un autre sous-ministre adjoint. Il formera une division à part entière, qui pourra prendre des décisions sans passer par un sous-ministre anglophone qui pourrait ne pas comprendre nos besoins particuliers comme francophones. C’est une grande victoire pour nous. 

La défense de l’éducation en français ne se fait d’ailleurs pas qu’au niveau de la Province… 

En effet. À la toute fin de mon mandat, par exemple, j’étais à Swan River où nous avons cinq membres. On a rencontré leurs directions d’écoles, leurs commissaires et le directeur général de la division scolaire. Il n’y avait aucune personne francophone dans ce groupe. 

Comment pourraient-ils comprendre l’importance de garder le français pour quelques élèves? Souvent, c’est la première matière qui est coupée. C’est à nous d’aller leur expliquer en personne l’importance d’offrir une éducation en français. 

Encore faut-il disposer du personnel pour assurer un enseignement de qualité en français. C’est un dossier majeur auquel votre successeure, Mona-Élise Sévigny, devra s’atteler… 

C’est vrai que c’est l’un des défis les plus criants aujourd’hui. Le bassin d’enseignant.e.s francophones et francophiles est si petit qu’on espère que notre personnel enseignant ne tombe pas malade ou qu’il ait des bébés, car on ne peut pas vraiment les remplacer. 

Les ÉFM sont partenaires de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE), et plus récemment du BEF qui a lancé en juin 2023 sa Stratégie de recrutement et de rétention des enseignants de langue française du Manitoba : Passer à l’action 2023-2026, pour améliorer le recrutement et la rétention de personnel enseignant. 

On a des stratégies d’attraction et de rétention d’enseignants venus de l’étranger, mais ce n’est pas facile d’arriver dans un nouveau pays dont on ne connait pas forcément la langue majoritaire, et de s’intégrer dans une communauté minoritaire. 

J’encourage Mona-Élise Sévigny à continuer d’appuyer les directions d’écoles pour assurer l’accueil de ces nouvelles personnes, par des programmes de mentorat. Notre responsabilité d’accueil va d’ailleurs bien au-delà de l’école et de la profession. Si on veut garder notre personnel immigrant, nous devons les aider à trouver une logement, une voiture, un service de garde pour leurs enfants, parfois un emploi pour le/la conjoint.e… Il y a tellement de choses qu’on tient pour acquises quand on vient d’ici. 

Sans oublier la difficulté d’obtenir une reconnaissance de diplôme… 

Surtout au Manitoba! C’est encore plus difficile de se faire certifier chez nous que dans les autres provinces. Le processus auquel nos enseignants et enseignantes nouveaux arrivants doivent se soumettre est vraiment incroyable. Et pendant ce temps, c’est leur vie qui est mise en attente. J’espère que la législation va s’ouvrir un peu. 

L’ouvrage ne manque donc pas pour la nouvelle présidente des ÉFM. Et pour vous, quelles vont être vos prochaines missions? 

À la rentrée prochaine, je retourne en immersion française au Collège Pierre-Elliott Trudeau, où j’étais avant de devenir présidente des ÉFM. J’y travaille depuis 1999, d’abord comme enseignante de français, puis comme conseillère d’orientation. En septembre, je deviendrai bibliothécaire et enseignante de français. 

J’ai parfois quitté le Collège Pierre-Elliott Trudeau pour des missions, comme la présidence des ÉFM ou un prêt de service au BEF de 2012 à 2015, mais j’y suis toujours retournée. Cette école, c’est comme ma deuxième famille. Elle me manquait. 

Mes deux fils, qui ont 14 et 15 ans, sont eux aussi très contents à l’idée que je sois plus souvent à la maison. 

Un dernier mot sur vos années de présidence? 

Je ne regrette rien. Ça a été une très belle expérience de quatre ans, et je me suis toujours sentie très bien accompagnée. 

Notons que Lillian Klausen siègera encore au conseil d’administration des ÉFM pour une autre année, comme présidente sortante. Les ÉFM comptent environ 2 100 membres. Le membership augmentera du fait des nou-velles écoles francophones et d’immersion prévues à travers la province. 

(1) Ces comités permanents sont le Comité des communications, le Comité organisateur de la conférence pédagogique annuelle, le Comité d’équité et de justice sociale, le Comité de sensibilisation et de promotion de l’éducation en français, et le Comité de vie professionnelle.