Ces experts ont pu tracer un parallèle entre des incendies survenus voilà 7 000 ans et ceux susceptibles de faire des ravages de nos jours.

L’an passé, alors que les feux de forêt battaient leur plein, les résultats des prélèvements de Martin Girardin et de son équipe, des chercheurs à Ressources naturelles Canada, sortaient des laboratoires. 

« Il ressort de nos travaux que dans le passé, il y a eu au pays des pertes de couverture forestière importante. Il y a environ 6 000 ans, durant une période, le taux de réchauffement du climat s’est fait beaucoup plus rapidement que pendant les millénaires précédents. » 

Les feux de forêts se sont alors faits plus violents, et surtout plus récurrents, jusqu’à faire reculer vers le Nord la canopée boréale, qui couvrait jusqu’à cette époque-là une zone bien plus importante. 

Et c’est là que le scientifique tire un parallèle en guise d’avertissement avec les incendies contemporains. 

« Ce que l’on voit en ce moment, c’est ce qui s’est produit à l’époque. Par contre, on anticipe des conditions beaucoup plus sévères que ce qu’on a pu voir par le passé »

Réchauffement climatique

Martin Girardin étaye sa mise en garde. « Aujourd’hui le réchauffement climatique est de 10 à 30 fois plus rapide qu’à l’époque que nous avons étudiée. Le bouleversement qui s’en vient va être beaucoup plus serré, plus intense si l’on maintient le statu quo et que le changement climatique garde le rythme actuel. »

Alors que de nos jours c’est l’activité humaine qui précipite à ce point le réchauffement climatique, il y a près de 7 000 ans les racines du phénomène étaient naturelles 

« Les hivers étaient plus rigoureux et les étés plus chauds, explique le chercheur. La fonte des glaciers et l’apparition de grandes étendues d’eau a donné lieu à des changements brutaux, en lien avec les changements orbitaux et les changements de l’axe de la terre. »  

S’il n’est pas encore possible de quantifier exactement les pertes encourues il y a plusieurs milliers d’années, à l’avenir, estime Martin Girardin, une perte d’environ 40 % du couvert de la forêt boréale est à envisager. 

La réalité est la suivante : si les incendies de grande envergure continuent de se succéder dans des délais plus courts, la forêt boréale ne sera plus en mesure de se régénérer et perdra alors, littéralement, du terrain. 

La forêt boréale se compose principalement d’épicéas (communément appelés épinettes) et de pins. Il faut en moyenne entre 20 et 30 ans à ces essences pour atteindre la maturité et être en mesure de se reproduire. 

Un enchaînement fatal

Et voilà l’enchaînement fatal pour la forêt en question : un premier incendie vient détruire les arbres matures, et l’incendie suivant détruit les nouveaux arbres, qui n’ont pas eu le temps d’atteindre la maturité. 

Cependant comme la nature est bien faite, lorsqu’une essence laisse sa place, une autre prend le dessus. Les épinettes et les pins sont remplacés petit à petit par des arbres feuillus, par exemple. Quand un écosystème recule, un autre avance. 

En substance, les recherches de Martin Girardin et de son équipe ont pour objectif de comprendre davantage l’impact des changements climatiques sur la forêt boréale et sa couverture. 

Pour ce faire, ils étudient une zone écologique bien particulière, l’écotone. Dans les grandes lignes, il s’agit d’une zone de transition entre deux écosystèmes. En l’occurrence, la forêt boréale et les Prairies. 

Le chercheur explique pourquoi l’écotone se prête si bien au jeu de la recherche. « L’écotone est très sensible aux changements climatiques. Avec les fluctuations climatiques, il se déplace. Vers le Nord en cas de réchauffement du climat, et vers le Sud en cas de refroidissement. » 

À la croisée de deux communautés biologiques différentes, l’écotone s’avère un écosystème complexe, « une mosaïque », illustre Martin Girardin. 

Loin dans le temps

Dans cette zone d’étude, à l’aide d’une carotteuse, les scientifiques sont allés chercher aux fonds des lacs des tubes de sédiments de cinq à sept mètres. 

Les carottes de sédiments ont alors été découpées. Chaque centimètre permet de voyager un peu plus loin dans le temps. 

« Cette science s’appelle la paléoécologie. Chaque année, les lacs accumulent du pollen et des charbons qui sont transportés par l’air et qui se déposent un peu partout. Les lacs sont de bons réservoirs de captation. On procède à des analyses d’identification qui nous permettent de retracer l’historique dans le temps, jusqu’à la glaciation. » 

La technique permet, en fonction des zones prélevées, de remonter à entre 8 000 et 13 000 ans. Martin Girardin et son équipe sont capables de remonter jusqu’à 12 000 ans. De ce voyage dans le temps, le message rapporté est clair : « Il faut s’attendre à des changements dans les paysages forestiers tels qu’on les connaît ». 

Un rappel, s’il était nécessaire, que le réchauffement climatique est un phénomène à prendre au sérieux.