Par Bathélemy BOLIVAR

Quelques mois après le tremblement de terre, les bailleurs de fonds internationaux en accord avec le gouvernement haïtien, ont créé un comité pour superviser temporairement les initiatives de reconstruction du pays. Ainsi le 21 avril 2010, la CIRH (Commission Intérimaire de la reconstruction d’Haïti) est née.

Elle est coprésidée par Jean Marx Bellerive, actuel Premier Ministre haïtien et l’ancien Président américain Bill Clinton. Selon le décret présidentiel, le nombre d’Haïtiens intégrant la commission devant être égal sinon supérieur à celui des étrangers. Ces membres votants et non-votants, constituant le conseil d’administration, viennent notamment du secteur privé, du parlement haïtien, des organisations non-gouvernementales, de la diaspora haïtienne et des syndicats.

S’inspirant des structures mises sur pied en Indonésie après le tsunami de 2004, la CIRH se donne une mission généralement évasive mais précise en ce qu’il s’agit de ses pouvoirs. Elle est ainsi formulée:

« La CIRH coordonnera et supervisera les efforts de redressement et de reconstruction. Elle renforcera l’autonomie du gouvernement et du peuple haïtien à gérer le programme de reconstruction et le développement d’Haïti à long terme, tout en mobilisant la coopération et la confiance des partenaires internationaux. La CIRH est chargée de développer et raffiner les plans de développement d’Haïti, d’évaluer les besoins et les lacunes dans le cadre des investissements, et de s’assurer que la mise en œuvre des plans de développement est coordonnée, efficace, transparente et honore sa promesse d’amener un changement positif dans la vie du peuple haïtien.

La CIRH facilitera la délivrance des titres de propriété et des permis pour la construction d’hôpitaux, les systèmes de production d’électricité, les ports, et d’autres projets de développement économique. »

S’il est vrai qu’Haïti souffre d’un manque d’organisation, d’une vision floue de l’identité nationale et d’un projet de société y adhérent, que les cas de corruption de l’appareil gouvernemental sont communs, le mandat confié à la CIRH semble démesuré. Intervenir même au niveau de la délivrance des titres de propriété dépasse le cadre de ce prétendu accompagnement du peuple haïtien dans sa sortie encore trébuchante des vestiges de la catastrophe du 12 janvier. La commission se veut, même s’il tire sa raison d’être d’un décret présidentiel, remplacer un vide qu’aucune entité ne saurait combler en dehors d’un corps légitime donc muni d’un mandat populaire.

Des projets retenus dans tous les domaines, ceux de l’éducation, des infrastructures, du renforcement des institutions, de la création d’emplois, du financement des entreprises, ont été annoncés le 17 août dernier en marge d’une réunion de la commission. Les coûts de ces projets s’élèvent à 1,6 milliard de dollars, approximativement 10% de l’aide financière promise à Haïti après le tremblement de terre. Des pays tels les États-Unis et le Brésil ont promis chacun plus de 1,5 milliard de dollars. Le Canada de son côté s’engage à allouer des fonds de l’ordre de 386 millions de dollars. Récemment Bellerive et Clinton, les deux coprésidents de la CIRH, ont dénoncé le retard avéré des fonds promis par les différents donateurs. Des réunions importantes sur la reconstruction en Haïti ont eu lieu à New York la semaine dernière en marge de la Conférence de l’ONU sur les Objectifs du Millénaire où le président Préval et le premier ministre Bellerive ont tous deux pris la parole. Ils se veulent convaincants sur la bonne gestion des fonds qui doivent être débloqués dans le cadre de la reconstruction. Pourtant les donateurs, en dépit des grandes envolées oratoires de notre premier ministre Bellerive et de la voix posée du président, veulent constater une certaine stabilité politique, donc de prochaines élections plus crédibles que celles jadis entachées de magouilles organisées par Préval, et de son engagement sans ambiguïté dans la lutte contre la corruption. Du fait que Préval a déjà tout transféré ses responsabilités à la CIRH, n’est-ce pas à la dite commission de se montrer à la hauteur de cette confiance que recherchent les bailleurs de fonds? De plus, quels sont les pouvoirs réels de la CIRH à prévenir et à combattre la corruption rampante dans la sélection et l’exécution des projets? Si le discours de Bellerive se veut, ces jours-ci, très nationaliste en insistant sur le rôle crucial de l’État haïtien dans la reconstruction, il doit comprendre que les dés sont jetés. La CIRH dirigée par Clinton, décrié par plusieurs, depuis sa nomination comme envoyé spécial pour Haïti auprès de l’ONU comme le nouveau gouverneur américain en Haïti, contrôle l’avenir de cette reconstruction chancelante et mal partie.

La cohabitation entre le nouveau gouvernement qui doit sortir des élections de novembre 2010 et la CIRH est à clarifier. Le prochain premier ministre doit remplacer M. Bellerive à la barre de la coprésidence de la commission. Dans de telles circonstances, quels sont les nouveaux rôles des directeurs généraux et d’autres fonctionnaires établis dans la machine gouvernementale. Mais tout reste à jouer dans la capacité de réussir de cette organisation parallèle qui ne fait que dupliquer les responsabilités de l’État haïtien et gruger un budget considérable en termes de frais de fonctionnement. Assiste-t-on à la caducité de l’appareil étatique haïtien dont les pouvoirs et responsabilités sont transférés à la CIRH, qui à son tour, passera les siens à l’Agence du Développement d’Haïti, une fois que son mandat aura pris fin le 21 octobre 2011?

Que l’on soit du côté de la reconstruction ou de la refondation, on doit « impenser » la nouvelle Haïti, terme que j’emprunte du dernier congrès de la CEFCO qui vient d’avoir lieu en fin de semaine à Edmonton.