Une panacée pour les conservateurs?

Par Raymond HÉBERT

Le 22 septembre dernier avait lieu, à la Chambre des communes, un vote sur une résolution libérale visant à mettre fin au débat sur un bill privé soumis préalablement par la députée manitobaine Candice Hoeppner pour l’abolition du registre des armes à feu, ou, plus précisément, des armes d’épaule. La résolution fut adoptée par la plus mince des marges, soit 153 à 151, assurant ainsi la survie du registre, du moins pour le moment. Tous les députés de la Chambre étaient présents et votèrent.
Dans leurs analyses des conséquences politiques du vote, la plupart des commentateurs politiques soulignèrent les avantages potentiels que les Conservateurs pourraient tirer du vote, où les trois partis de l’opposition s’unirent pour sauver le registre, à l’exception de six députés néo-démocrates. On mentionna le fait que six députés néo-démocrates et huit députés libéraux avaient « changé leur fusil d’épaule » par rapport à leur position antérieure, et appuyaient maintenant le registre, et que ces députés seraient fortement contestés par leurs adversaires conservateurs lors des prochaines élections. On souligna l’avantage que cette position donnerait aux Conservateurs dans le prélèvement de fonds, surtout en région rurale, pour financer ces élections. Les Conservateurs eux-mêmes indiquèrent leur intention de démoniser à nouveau la fameuse « coalition » inexistante de « socialistes et de séparatistes », dans un discours controversé par le ministre des Finances Jim Flaherty.
Quelques jours plus tard, après mure réflexion, on se rend compte que les avantages électoraux de cette victoire de l’opposition ne sont pas tous du côté des Conservateurs. On souligne, par exemple, que la faiblesse des Conservateurs au Québec, où le registre est très populaire surtout suite au massacre à la Polytechnique en décembre 1989, ne pourra qu’être renforcée suite à leur position intransigeante sur ce dossier. Ainsi les 11 sièges emportés au Québec, déjà à risque avant le vote sur le registre, le sont encore plus après cette semaine, à une ou deux exceptions près (ceux de Maxime Bernier et Lawrence Cannon). Ainsi les gains possibles des Conservateurs dans les régions rurales et éloignées pourraient être annulés par des pertes équivalentes au Québec.
Des analystes tels que Jeffrey Simpson (Globe and Mail, 25 septembre) sont d’avis qu’avec ce vote, les Conservateurs n’ont fait que consolider leur base d’appui électoral dans les régions rurales et dans l’Ouest; leur opposition au registre ne fera rien pour élargir cette base dans les régions urbaines et chez certains groupes démographiques tels que les femmes, qui appuient le registre beaucoup plus que les hommes (un effet, peut-être, du massacre sexiste de la Polytechnique) et les résidants des grandes villes.
On peut ajouter à ces constats le fait qu’il reste probablement amplement de temps avant les prochaines élections. En effet, M. Harper lui-même semble avoir signalé cela en nommant cette semaine un nouveau chef de cabinet en la personne de Nigel Wright, homme d’affaires bien connu de Toronto (eh oui, un membre de cette « élite » que les Conservateurs aiment tant matraquer à des fins électorales!). M. Wright est connu comme un pragmatiste avant tout dont la force est de faire avancer les dossiers dans le monde des affaires. Une nomination plus carrément partisane aurait signalé d’autres intentions chez M. Harper. Enfin, il est fort possible que l’électorat canadien en général se lasse de la préoccupation incessante des Conservateurs avec le registre des armes à feu; il pourrait même se rendre compte de la contradiction entre l’abolition du registre (un outil précieux contre les criminels selon la GRC et les chefs de police canadiens) et leur croisade maintes fois affirmée contre le crime.