La CIRH (Commission Intérimaire de la reconstruction d’Haïti)  vient d’annoncer, par le biais de l’un des coprésidents, Bill Clinton, que  777 millions de dollars soit 30%  des montants promis par les donateurs internationaux ont été débloqués. Au cours de la dernière rencontre de la Commission, tenue le 5 octobre dernier, il a été question de ratifier 18 projets dans les domaines classés prioritaires tels: le logement, la santé, l’éducation, le ramassage des déblais.   Autant de débours qui nous feraient croire que le pays allait vivre des moments de répit, que les quelque 2 millions de gens vivant sous les tentes de fortune allaient connaître des jours meilleurs. Au cours du mois dernier, pas moins que cinq sans abris du tremblement de terre ont été emportées par une tornade en plein milieu de Port-au-Prince et tandis que nous éditons cette chronique au moins une douzaine de morts viennent s’ajouter au bilan macabre  d’une pléiade de désastres  naturels dont les torrents de pluies de la fin de semaine écoulée.

Des réalités qui fragilisent le vécu de ces démunis qui vivent la même tourmente au quotidien. L’eau et la nourriture  continuent de manquer. L’organisme international ACF (Action contre la Faim) inventorie au moins 300 de cas de malnutrition graves chez les enfants. Et l’éducation de base constitue encore le luxe qu’il a toujours été avant la date fatidique du 12 janvier 2010. Dans des interventions répétées, des membres du Sénat et de l’opposition reprochent tour à tour au gouvernement Préval/Bellerive de ne pas adopter une loi sur les frais scolaires pour alléger les efforts des parents dans le cadre de la réouverture des classes qui a eu lieu le 6 octobre dernier. Une réouverture entreprise dans un contexte où la plupart des bâtiments des  lycées sont reconvertis en abris temporaires pour accueillir les rescapés du séisme. Dans ce contexte de transition agonisante, que faut-il espérer des élections du mois prochain?

Le 28 novembre 2010, les électeurs seront appelés aux urnes pour élire un président, le tiers du sénat et la chambre des députés. Deux sondages ont placé respectivement Mirlande Manigat, Charles Henri Baker  et Michel Martelly en tête des intentions de vote. À moins qu’un évènement  dramatique ait changé la trame électorale, Mirlande Manigat est en lice de devenir la prochaine présidente d’Haïti. L’ex-première dame de la République, professeure de droit constitutionnel, jouit d’une estime et d’un respect confirmés auprès des jeunes, de l’élite intellectuelle et d’une certaine admiration des bailleurs de fonds internationaux. Entourée de Leslie François Manigat, ancien chef d’État en 1988, universitaire de renommée mondiale, tout semble jouer en faveur de celle, esprit autonome de surcroît, qui a renoncé au Sénat de la République lors des  élections de 2006 en guise de protestation contre les magouilles qui ont terni ces joutes ayant consacré Préval président de la République avec moins de 50% + 1 des voix, comme le recommande la constitution de 1987.

Au-delà des idéaux de changement prônés par le prochain chef d’état, Haïti a amplement besoin d’une rupture. Celle d’avec l’amateurisme politique, de l’individualisme effréné et immoral, bref d’avec la mise en quarantaine des pratiques coloniales qui se perpétuent dans les relations  tenues entre des compatriotes hérités de la même  fierté de première République noire indépendante. Une réécriture de l’histoire s’impose à la nouvelle équipe gouvernementale. Elle implique des valeurs de transparence, de justice sociale et de pragmatisme réfléchi.  Il va falloir avancer en assurant à chaque Haïtien un repas chaud par jour comme l’a si bien formulé M. Manigat lors de son  passage écourté à la tête du pays et jeter les fondements d’un nouveau pays à travers les structures  d’une éducation adaptée aux réalités haïtiennes, mesurée à l’aune des grands défis de l’heure où l’état est censé prendre avantage des leviers que constituent les nouvelles technologies pour améliorer le développement humain. Assurer les services adéquats comme ceux de l’éducation de base, du logement, de l’accès à la justice à tous ses citoyens. En d’autres termes, on ne peut plus se permettre l’irresponsabilité séculaire de refuser aux masses les moyens fonctionnels  de survie. À la jeunesse l’occasion de réinventer le génie haïtien. Sans oublier que tous les citoyens doivent à long terme  se prendre en main et  se doter  d’un projet de vie à l’intérieur d’un projet de société qui peine à s’élaborer. Ce qui fait dire à plus d’un qu’Haïti est en manque d’un vrai chef d’orchestre.

Peu importe l’issue des scrutins de novembre, l’élan de solidarité de l’équipe internationale va s’estomper là où un leadership haïtien de taille devra émerger. Des objectifs à long et à court termes doivent cohabiter dans l’action pertinente et authentique. D’où notre scepticisme face à la manière dont les fonds de reconstruction sont gérés. L’ensemble des projets ratifiés par la CIRH semblent dépourvus de tout fil conducteur. Cette fragmentation de l’aide en projets épars doivent à long terme nuire comme elle l’a toujours fait au développement harmonieux du pays. L’équipe internationale saura-t-elle comprendre que la rupture est urgente, que les anciens paradigmes qui ont conduit Haïti dans ce gouffre ne devraient plus perdurer. Et que  le mal développement  de ce pays comporte des explications, injustifiées, bien sûr.