Voilà qu’on n’a même pas achevé les différentes commémorations autour du premier anniversaire du séisme du 12 janvier 2010, que le président de la République, René Préval, tarde à donner une suite aux recommandations de l’OEA concernant les dernières élections où l’organisme international évince le candidat du pouvoir, certes on n’a même pas le temps de se réveiller du cauchemar du choléra qui compte ses victimes par milliers, qu’une nouvelle donne non moins confuse vient s’ajouter sur l’échiquier politique haïtien. Pour ceux et celles qui ont suivi l’actualité ce dimanche 16 janvier, il a été question du retour non annoncé de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, 59 ans, connu sous le nom de Baby Doc. Après 25 ans d’exil forcé en France suite aux soulèvements populaires des années 85-86 et acculé par la communauté internationale, le dictateur Baby Doc avait été déchouké (terme qui signifie: déraciner un arbre et qui fut popularisé par les manifestants d’alors, et est depuis ajouté au dictionnaire Robert pour parler des soulèvements de 1986.) Dans le cadre de la reconstruction d’Haïti, que penser d’une telle arrivée?

Un an après le tremblement de terre, les voix sont unanimes à dénoncer la lenteur des efforts de reconstruction et l’incapacité des leaders locaux d’enclencher une coordination de l’aide internationale à l’aune de ce qu’Haïti confronte comme défis éducatifs et socio-économiques. En fait, huit mois avant le terme de son mandat, qui devrait prendre fin en 2011, la CIRH, co-présidée par Clinton et Bellerive n’est pas en mesure de proposer un plan d’action et des projets d’envergure à re-construire ce pays en partant sur de nouvelles bases. Les statistiques sont pour le moins alarmantes. Moins de 5% des débris sont enlevés et environ 1 million de déplacés du tremblement de terre vivent encore dans les tentes de fortune. C’est dans un contexte aussi inquiétant que Préval vient de déclarer qu’il ne quittera pas le pouvoir le 7 février 2011 comme le prévoit la Constitution et qu’il remet en question le rapport de l’OEA sur les élections, qui lui recommande de renvoyer Jude Célestin, son protégé, de la course électorale. Si Préval a lui-même demandé à ces experts des élections de trancher sur l’issue du scrutin du 28 novembre, il n’est pas obligé de suivre leurs recommandations pas moins qu’il peut les ignorer vu que tout le monde sait les tenants et aboutissants du dit rapport et que les manifestations contre Jude Célestin ont paralysé le pays pendant les trois semaines qui avaient suivi les joutes en question.

En dépit de certaines divergences, plus d’un reconnaît l’état lamentable du pays et affirme que c’est le temps ou jamais qu’un réel changement émerge. Haïti a un devoir comme Première République noire indépendante de se souscrire à d’autres systèmes de valeurs et de meilleures  pratiques de gouvernance. Pour le salut de ces jeunes Haïtiens dont 4 sur 10 ont moins de 14 ans, le temps est propice à l’avènement d’un pays autre. Ce salut ne viendra pas des 20 000 ONG qui ont foisonné juste après le tremblement de terre. Au-delà de leur velléité de faire une différence, elles auront besoin d’un mandat précis et d’évoluer à l’intérieur des balises d’un projet de société avalisé par les citoyens haïtiens qu’elles sont censées venir aider. Autrement les conflits d’intérêts et le gaspillage de ressources financières et matérielles constitueront de sérieux obstacles à ce changement que nous attendons bien avant l’année 1983 où Jean-Paul II, lors d’une visite en Haïti, déclara majestueusement : Il faut que quelque chose change.

Ce leitmotiv du pape avait à l’époque ravivé les débats autour de la défaillance de la dictature des Duvaliers. Le mécontentement des paysans qui avaient perdu leurs cochons créoles abattus dans le cadre de la fièvre porcine, les touristes qui commençaient à éviter Haïti, les cas flagrants de corruption des fonctionnaires publics, de la censure éhontée de la presse, et d’assassinats politiques ont été le comble pour un régime déjà miné de l’intérieur par Michèle Bennet Duvalier qui ne s’est rien refusé en termes de luxe et d’avarice. Une première dame qui se faisait importer des manteaux de fourrure de l’Europe dans un pays tropical et qui faisait baisser la température au palais national afin  de porter ces manteaux dans une Haïti extrêmement paupérisée, ont témoigné certains collaborateurs du pouvoir.

Après 25 ans d’exil, que vient faire Duvalier dans ce pays fragilisé, se questionnent plusieurs. S’il a été ovationné par une centaine de fanatiques, plusieurs manifestants étaient à l’aéroport pour exiger qu’il rende compte à la justice. À quelle justice, rétorquent certains journalistes dans un pays où l’impunité s’est quasiment institutionnalisée. Cependant d’autres observateurs osent affirmer qu’il est venu brouiller les cartes entre les mains de Préval? Annonce-t-il un autre tournant dans la crise haïtienne déjà trop complexe à démêler? Il faudrait attendre quelques jours pour bien digérer cette résurgence d’un vieux rat de la politique haïtienne qui ne laisse rien sortir de son agenda sinon qu’il vient aider à la reconstruction de son pays. En fait, l’article 291 de la Constitution de 1987 avait nommément exclu les duvaliéristes des postes électifs et de la fonction publique pendant 10 ans, cependant cette même Constitution, dans son article 41, condamne l’exil de tout citoyen haïtien qui n’a donc pas besoin de visa pour entrer ou sortir du pays.

Peu importe les mobiles qui ont poussé Duvalier à retourner en Haïti, ce retour est symptomatique de 25 ans de recul social, de dépendance endémique à l’aide internationale, de déceptions politiques, de l’échec des lavalassiens en dépit de leur popularité depuis les élections de 90 à offrir un mieux être à un peuple qui croyait encore jusque-là que le changement était possible. Et de surtout l’incapacité des troupes d’Aristide à l’auto-censure. Ce qui a mené aux dérives qu’on a constatées, comme tout le monde d’ailleurs, avec la montée des horreurs d’un régime assoiffé de pouvoir au point de mutiler ses adversaires politiques, dont les cadavres sont trainés en pleine rue, et de détruire systématiquement tout potentiel candidat à la présidence n’ayant pas reçu l’aval du chef. Entre autres, le journaliste de renom, Jean Dominique fut assassiné en avril 2000 au cours du premier mandat de Préval dont il fut le conseiller, tandis qu’il n’a connu que l’exil sous le régime duvaliériste contre lequel il luttait vigoureusement.

Ce retour de Duvalier est venu nous rappeler que les choses n’ont pas changé après 25 ans, et c’est là le plus grand sujet de désarroi. Qu’on vient de rater un quart de siècle à conter des illusions à un peuple démuni, frappé par un séisme qu’on aurait pu minimiser les conséquences puisqu’il était prédit tant par les scientifiques haïtiens que ceux d’ailleurs, décimé par une épidémie de choléra qu’on aurait pu éviter. Un peuple dont on a miné l’espoir au point qu’il embrasse aujourd’hui ce qu’il a rejeté, il y a 25 ans. Le plus angoissant dans tout cela, c’est qu’on n’a pas non plus tiré des leçons pertinentes des erreurs du passé. Erreurs à partir desquelles des expertises devraient se développer. Thomas Edison a inventé l’ampoule électrique en misant sur le principe de l’itération. Quand on essayait de le persuader que son invention n’aboutirait jamais, il répondait fermement qu’il savait maintenant 1000 démarches qui ne fonctionnent pas. On sait maintenant ce qui n’a pas fonctionné dans le cas d’Haïti. Si on a inventorié une panoplie d’expériences infructueuses, il faudrait dorénavant les dé-construire dans le cadre du processus de refondation du pays.

Note : Jean-Claude Duvalier fut président d’Haïti de 1971 à 1986. Il était arrivé au pouvoir à la mort de son père François Duvalier («Papa Doc») qui dirigea Haïti de 1957 à 1971.