Redes, Silvestre Revueltas
Concerto pour violoncelle, David R. Scott
Symphonie n° 3 en ut mineur op. 78, dite « avec orgue », Camille Saint-Saëns
Orchestre symphonique de Winnipeg
Carlos Miguel Prieto, chef
Yuri Hooker, violoncelle
Le 21 janvier 2011, Salle de concert du Centenaire

Considéré comme l’un des chefs les plus prometteurs de la nouvelle génération, Carlos Miguel Prieto a grandement impressionné lors de sa première visite à la direction de l’Orchestre symphonique de Winnipeg. D’origine mexicaine, M. Prieto, environ 40 ans, a déjà une feuille de route impressionnante. Il s’est particulièrement illustré au Mexique et aux États-Unis, notamment depuis 7 ans comme directeur musical de la Huntsville Symphony en Alabama, engagement qu’il terminera à la fin de la présente saison.

Homme d’un naturel charmant, il a séduit l’auditoire avant même de commencer à diriger, en présentant les deux premières oeuvres au programme. Il nous parle avec chaleur et simplicité.

On sent la même intensité de communication avec les musiciens. Il est dynamique, engagé et entraînant. Les musiciens suivent et s’engagent avec lui. Ce fut sans doute la plus belle prestation de l’orchestre cette saison dans cette série de concerts.

Grand promoteur de la musique contemporaine, M. Prieto qui a dirigé plus de 50 créations d’oeuvres de compositeurs mexicains et américains, a inscrit au programme deux oeuvres en première à l’OSW: Redes, du compositeur mexicain Silvestre Revueltas et le Concerto pour violoncelle de David R. Scott.

Silvestre Revueltas (1899 – 1940) est reconnu comme l’un des plus grands compositeurs mexicains. Pendant les dix dernières années de sa vie, il a composé une quarantaine d’oeuvres, dont six pour orchestre et la musique de huit films. Oubliée pendant quelques décennies après sa mort, son oeuvre a été redécouverte au cours des dernières années et M. Prieto y a sans doute contribué. Redes (Filets) est une musique de film composée en 1935, dont le chef d’orchestre autrichien Erich Kleiber, exilé au Mexique, a réalisé une suite en 1943. De toute évidence, M. Prieto connaît bien cette suite, qu’il dirige de mémoire. Le sujet est mexicain (il traite de la situation misérable des pêcheurs de l’état de Veracruz) mais la musique n’est pas folklorique. De facture très classique, elle soutient avec une grande sensibilité l’action du film. La musique de six scènes du film compose la suite. M. Prieto obtient de l’orchestre l’intensité dramatique et l’expressivité propre à chaque scène. On peut facilement imaginer le village rassemblé pour pleurer la mort d’un enfant, la joie retrouvée et l’embarquement pour la pêche, la lutte pour de meilleures conditions de travail, l’arrivée de la flottille ramenant leur compagnon mort dans une longue complainte des violoncelles.

La finale de Redes préparait très bien le passage à la seconde oeuvre au programme, le Concerto pour violoncelle de David R. Scott. Malheureusement, l’intensité dramatique a été perdue par une trop longue pause (il fallait installer le soliste) et les rires provoqués par la difficulté qu’a eue M. Hooker à trouver une position confortable sur son podium.

Né en Angleterre, formé au Canada et vivant maintenant à Winnipeg, M. Scott a composé son  concerto en 2007.  L’oeuvre explore la trajectoire personnelle et complexe du deuil et est dédiée à son père, décédé en 2007. L’écriture s’inspire beaucoup des techniques de composition de l’espace et de la perspective dans les arts visuels, comme la peinture et l’architecture. Cela se traduit par une structure musicale à plusieurs niveaux. Le concerto est en deux mouvements à peu près d’égale longueur intitulés Intrados (Élégie) et Extrados. Ces titres  sont empruntés à l’architecture. Intrados est la courbe inférieure ou intérieure d’une arche et extrados en est au contraire la courbe supérieure ou extérieure. D’une certaine façon, l’oeuvre est construite dans une forme similaire. Le premier mouvement a la forme d’une arche asymétrique qui se replie sur elle-même. Au contraire, le deuxième mouvement a un caractère plus enjoué, ouvert à la lumière.

C’est une oeuvre très intéressante. L’orchestration est riche, avec beaucoup de percussions. L’exécution de la partie de l’orchestre était belle, M. Prieto en faisant bien ressortir toutes les nuances. Malheureusement, M. Hooker n’a pas réussi à rendre l’émotion de sa partie qui constitue le fondement du concerto. L’oeuvre est difficile à interpréter. Elle exige une grande maîtrise technique et beaucoup de virtuosité. Le son manquait de clarté, de lyrisme. M. Hooker ne parvenait pas à faire “chanter” son instrument, émettant souvent un son rauque et désagréable. Le coup d’archet dans l’attaque des notes graves était trop brusque, frappant les cordes au lieu de les frotter. Cette oeuvre étant récente, nous n’avons trouvé qu’un enregistrement de référence, réalisé par la CBC lors la création de l’oeuvre à Thunder Bay le 3 avril 2008 sous la direction de Geoffrey Moull, avec le soliste Paul Marleyn, sur le site du Centre de musique canadienne.1 L’écoute de cet enregistrement nous a permis de confirmer notre impression que M. Hooker n’a malheureusement pas rendu justice à la beauté et à la profondeur de cette musique. Cependant, l’exécution de M. Prieto et de l’OSW nous semble avoir été supérieure à celle de l’Orchestre de Thunder Bay.

L’oeuvre principale de ce concert était la Symphonie n° 3 en ut mineur op. 78, dite « avec orgue», de Camille Saint-Saëns. Elle fut interprétée de manière éblouissante. M. Prieto a inspiré l’orchestre par son engagement et son dynamisme. La direction était précise avec un geste large et enveloppant. Les mouvements lents sont joués avec émotion et sans traîner. Les mouvements plus rapides ont un caractère joyeux et sont joués sans précipitation. Tout a convergé vers un finale grandiose et allégorique. Il faut souligner le travail de l’équipe de sonorisation qui a réussi à obtenir un son de grande qualité de l’orgue électrique. La longue ovation qui a suivi était bien méritée. Le chef et l’orchestre étaient manifestement heureux de leur prestation. Charmant, M. Prieto sait aussi être charmeur. Il remis le bouquet de fleurs qu’on lui a donné à l’organiste et a gentiment pris Mme Gwen Hoebig, premier violon, par le bras pour qu’elle se lève et reçoive avec lui les applaudissements de l’auditoire.

Le prochain concert de cette série aura lieu les 18 et 19 février. Anton Kuerti sera soliste dans le Concerto no 4 pour piano et orchestre en sol mineur, op. 58 de Beethoven , qui sera suivi de la Symphonie no7 en mi majeur d’Anton Bruckner.

1- www.musiccentre.ca