La famille Belair
La famille Belair : Kaylen, Evan, Cameron, Paul et Leigh Belair.

Après un orage dévastateur, Saint-Laurent est sous le choc. Les sinistrés et membres de la communauté racontent.

Daniel BAHUAUD

Assaillis par une pluie torrentielle et des rafales de vent atteignant les 90 km/h, près de 715 résidences permanentes et chalets de la communauté de Saint-Laurent ont succombé, le 31 mai, aux eaux turbulentes du lac Manitoba, qui est sorti de ses berges.

« À certains endroits, l’eau a dépassé la plage de près d’un kilomètre, déclare le chef des pompiers de la Municipalité rurale de Saint-Laurent, Réal Fontaine. Il a fallu évacuer d’urgence tous les résidants longeant le lac ainsi que ceux à l’ouest du chemin Veterans Memorial. La plupart ont quitté de leur propre gré lorsqu’ils ont vu que la situation s’empirait. D’autres ont refusé, pour essayer de sauver leurs propriétés. Avec l’aide de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et des services d’incendie des municipalités avoisinantes, sans parler des services de soins d’urgence municipaux, nous avons réussi à évacuer tout le monde, même les plus récalcitrants. »

En effet, plusieurs ont été secourus bien longtemps après que l’eau a barré les quatre routes conduisant aux plages Johnson, Laurentia, Twin Lakes et Sandpiper. « Nous avons fait venir des zodiacs, indique Réal Fontaine. Un résidant a dû être récupéré par hélicoptère. »

Peine perdue

Résidant de la plage Twin Lakes, Louis Allain a perdu sa maison en l’espace de deux heures. « Je suis encore sous le choc, déclare-t-il. Cela faisait déjà trois semaines que je luttais contre l’eau qui montait. Je croyais avoir érigé une digue pouvant résister à l’assaut des vagues, mais en un rien de temps, c’était peine perdue. »

Même son de cloche chez la conseillère municipale, Mona Sedleski. « J’ai perdu ma maison, lance-t-elle. Je n’ose pas trop y penser en ce moment, puisqu’il faut s’occuper des autres sinistrés. Une fois la crise terminée, je pourrai y voir. »

Résidant de la plage Sandpiper, Emmanuel Rainville se croyait en toute sécurité. « Le sol de ma propriété est à 820 pieds au-dessus du niveau de la mer, soit un pied de plus que le niveau maximum prévu, explique-t-il. Mais à cause du vent, l’eau a atteint les 822 pieds. J’ai quitté en catastrophe. Des amis de Winnipeg vont m’héberger, mais je n’ai même pas un rasoir. Surtout, je n’ai pas mes médicaments pour gérer ma maladie du cœur. »

Une inquiétude partagée par le propriétaire d’un chalet de la plage Laurentia, Gilles Girardin. « Je prends cinq ou six pilules par jour, et je n’ai rien pris avec moi, explique-t-il. Tout s’est déroulé si vite. La force de l’eau était étonnante. Notre patio en bois a été arraché du chalet. L’eau s’est même emparée de six grosses balles de foin pesant deux tonnes chacune. »

Père de quatre garçons et résidant de la plage Laurentia, Paul Belair rentrait de ses courses à Winnipeg lorsque l’orage s’est mis à s’abattre sur Saint-Laurent. « Arrivé chez moi, j’étais plus inquiet pour le chalet de ma mère, raconte-t-il. En effet, le grand escalier solide qui conduit du chalet à la plage a été arraché en l’espace d’un quart d’heure.

« Très vite après, je me suis rendu compte que ma maison était à risque, malgré le fait qu’elle soit à une élévation de 819 pieds, poursuit-il. Quand mes garçons sont arrivés de l’école, je leur ai demandé de préparer leurs bagages. On a soupé à la hâte et on a essayé de sortir. L’eau était tellement haute qu’on ne pouvait plus se servir du camion. Les services d’urgence sont venus nous évacuer un à la fois en quatre roues. Aucun autre véhicule ne pouvait résister à l’eau. »

En colère

Pour sa part, la résidante de la plage Sandpiper, Audrey Combot se dit surtout en colère. « Sans toute l’eau du canal de dérivation de Portage-la-Prairie, nous ne serions pas dans de si mauvais draps, lance-t-elle. Ma maison est haute. Mais ça fait des mois qu’on canalise l’eau de la Saskatchewan dans le lac Manitoba, sans voir à l’envoyer ailleurs, dans des zones inhabitées. Maintenant, tout est détruit. Je vis seule; qui va m’aider à nettoyer et à réparer les dégâts? »

Parce qu’il devait récupérer son chien, Louis Allain est un des rares résidants à s’être rendu à sa propriété le lendemain de l’orage. « Twin Lakes est une zone de guerre, déclare-t-il. Il y a des débris partout. Une de mes fenêtres est complètement partie, arrachée par la pression d’eau. »

« Je me console en me rappelant que je ne suis pas seul à vivre cette épreuve, poursuit-il, et que personne n’a été blessé. Saint-Laurent pourra rebâtir. L’essentiel sera de gérer les trois ou quatre prochains  mois. En attendant, j’habite à la ferme de mon père et j’essaie de continuer le travail. Être au bureau et s’occuper de la routine habituelle, ça soulage. La normalité est importante en ce moment. »

Sergent affecté au détachement de Lundar de la GRC, Ronald Corner se demande si la normalité sera possible avant l’automne. « Le niveau d’eau sera encore plus élevé dans quelques semaines, rappelle-t-il. Nous avons travaillé fort à évacuer les résidants durant la tempête. Mais je me demande si ce sera à refaire dans un mois. Les vents pourraient encore s’abattre sur les berges du lac Manitoba. Le scénario est même très probable. Nous n’en sommes pas encore sortis. »

Au moment d’écrire ces lignes, la Municipalité rurale de Saint-Laurent ne prévoyait pas permettre aux résidants de visiter leurs propriétés avant au moins le 9 juin, et ce pour des raisons de sécurité.

 

La famille Belair : Kaylen, Evan, Cameron, Paul et Leigh Belair.