Quelque deux mois après son investiture, Martelly peine à concrétiser les premières étapes du programme de changement promis. Le nœud gordien du problème demeure le consensus autour du choix d’un premier ministre et de son corollaire : la formation d’un nouveau gouvernement pour diriger le processus de reconstruction nationale.

Le premier choix de M. Martelly pour accéder au poste de premier ministre fut Daniel Rouzier, investisseur et figure de marque du secteur privé haïtien. Rouzier dirige une firme d’approvisionnement en électricité et est aussi un grand concessionnaire d’automobiles. Entre autres, il fut le consul honoraire de la Jamaïque en Haïti. Sa candidature a été rejetée au parlement pour cause de conflit d’intérêts et d’évasion fiscale. Si ces arguments cachent des mobiles des parlementaires de vouloir contrôler certains postes ministériels au sein d’un éventuel gouvernement. Il est à noter que Rouzier, pour reprendre l’expression établie par la presse haïtienne, fut laissé seul dans la fosse aux lions. Le président en a fait peu, selon les observateurs, pour soutenir son candidat.

Le nouveau nom qui doit briguer le poste de premier ministre : Bernard Gousse, ancien ministre de la justice sous le gouvernement de Latortue, juste après le départ forcé d’Aristide en 2004, ne semble pas faire non plus l’unanimité. Un groupe de 16 sénateurs, la plupart des membres de Inite, la formation politique majoritaire au parlement, qui voue leur allégeance à l’ancien président René Préval se dit opposé à Gousse vu sa réputation comme ancien ministre de la justice et vient de rejeter officiellement la candidature de ce dernier lors des séances de mardi soir. On reproche à Gousse d’avoir maté l’opération Bagdad (opération de kidnapping et de décapitation) orchestrée par les lavalassiens pour protester contre le départ précipité d’Aristide. Des figures emblématiques telles Yvon Neptune et Jocelerme Privert respectivement anciens premier ministre et ministre sous Aristide ont croupi en prison même si dans le cas de Neptune, la justice ne pouvait établir sa culpabilité, notamment dans le massacre de Saint-Marc qui a entouré les manifestations devant aboutir au départ d’Aristide.

Définitivement, Martelly doit composer avec des parlementaires qui semblent lui barrer la route vu que leur parti ne contrôle pas l’exécutif. Les tractations semblaient bien aller pour choisir un premier ministre avant longtemps surtout que la communauté internationale exhorte les partis en présence à doter le pays d’un nouveau gouvernement au plus vite que possible. Le retard dans la formation d’un nouveau gouvernement bloque toute l’aide du moins le reste de l’aide promise à Haiti dans le cadre de la reconstruction. Ce sont les masses qui vivent sous les tentes et qui attendent Dieu sait quel soulagement qui font les frais de ce désaccord entre l’équipe Martelly et le parlement dont la plupart des membres sont carrément sélectionnés par Inite qui manipulait les élections de 2010-2011.

Entretemps, certaines initiatives visent à concéder une certaine latitude à M. Martelly pour gouverner en attendant l’arrivée d’un prochain gouvernement. Un groupe de parlementaires voulaient permettre à Martelly de nommer certains fonctionnaires et d’arrêter certaines décisions qui auraient relevé des prérogatives d’un premier ministre en temps normal. Est-ce un projet mort-né ou le président saurait-il profiter de cette fenêtre d’opportunité pour démarrer la machine de l’exécutif.

Se serait-il assagi puisque des voix se sont élevées contre la rumeur qui voudrait que M. Martelly pensait carrément à dissoudre le parlement. Au-delà de l’inconstitutionnalité d’une telle décision, des parlementaires prédisent que le président ne survivrait pas plus de 24 heures après une quelconque dissolution du Parlement. Le jeu est très serré entre un président qui a tout promis en campagne électorale et qui doit maintenant faire place à un parlement où son parti ne compte quasiment aucun parlementaire. Inite contrôle le parlement, se renforce et exige des postes clés dans le prochain gouvernement, certains y voient les symptômes d’un paysage politique corrompu et d’une fonction publique objet d’une dilapidation effrénée des deniers publics.

Quand Martelly se montrera très ferme dans les négociations avec le parlement, il apprendra à vivre dans un contexte de cohabitation, ce qui de nature, impose des règles de partage de l’espace décisionnaire, des politiques de bon voisinage, et certes la communauté des responsabilités. Il est à noter toutefois que dans cette guerre d’usure, les masses demeurent les vrais perdants tant la satisfaction de leurs besoins de base reste un objectif non atteint.