La Liberté | Chronique reconstruction d'HaïtiAprès cinq mois de longue attente depuis l’investiture du président Martelly, un nouveau gouvernement, dirigé par Gary Conille, vient de recevoir les destinées du pays. Dans son discours de circonstance, le nouveau premier ministre a lancé un appel pressant à l’unité nationale, celle devant conduire à une synergie apte à changer l’image d’Haïti. « Nous sommes déterminés à mobiliser toutes les énergies nationales dans une croisade patriotique du bien-vivre ensemble soutenue par les piliers de l’éducation, de l’emploi, de l’État de droit et de l’environnement régénéré », a-t-il dit.

Ceci dit, ce discours reprend les grands thèmes de l’énoncé de politique générale de M. Conille au Parlement, thèmes qui constituent les axes de la plateforme de Martelly. Tout compte fait, les deux hommes semblent, pour l’instant, unis par le verbe.

Il faut toutefois rappeler que Conille est le troisième premier ministre désigné par Martelly, par Clinton du moins, si l’on croit les rumeurs et le passé de fonctionnaire des Nations-Unies et de la CIRH (Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti) de l’actuel premier ministre. Rouzier et Gousse, malheureux de cette course à la Primature, n’ont pas su convaincre le Parlement pour des raisons que nous avons déjà discutées. À la surprise de plusieurs observateurs, dont certains parlementaires très en vue comme Youri Latortue, le camp de Martelly est responsable de ces échecs car certains de ses lieutenants ne voulaient aucun de ces deux-là comme premier ministre. Même Conille s’est vu donner une lettre de démission non datée, lettre qu’il a refusée de signer. Me Thierry Mayard Paul, devenu ministre de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales et principal conseiller de Martelly, aurait remis cette lettre à Conille. Si les média ont interviewé Conille et Paul sur la mystérieuse lettre, Conille, quant à lui n’a pas démenti la rumeur. Il continuait de rediriger ses propos sur les objectifs de son éventuel gouvernement et a passé le cap de la ratification au Parlement.

Au Parlement, le nouveau premier ministre s’est montré un fin stratège. Il a négocié des postes ministériels avec les Parlementaires, qu’il n’a pas pu, en fin de compte, livrer. Martelly a choisi les postes ministériels les plus importants et laisse la culture, le tourisme et le sport aux parlementaires. En ce sens, on assiste au scénario du gouvernement de Michèle Pierre-Louis en 2008 où Préval a imposé ses ministres en dehors des prérogatives de la première ministre d’alors. On sait que cette dernière a été renvoyée par le parlement sous l’instigation de Préval qui, selon plusieurs, faisait face à un chef de gouvernement trop indépendant et qui jouissait, entre autres, de l’appui de l’Internationale. Conille connaîtrait-il le même sort avec Martelly vu ses relations privilégiées avec les Américains, s’est demandé un éditorialiste de la capitale haïtienne.

L’échiquier politique haïtien a changé. Le président actuel ne contrôle plus le Parlement comme l’ancien président Préval qui y avait une majorité et qui était aussi chef de parti. L’autre scénario serait celui de la relation de Boniface et de Latortue en 2004 après le départ forcé de Jean-Bertrand Aristide. Latortue, technocrate des Nations Unies, qui savait parfois se loger à l’Ambassade américaine en Haïti, éclipsait le président Boniface, ancien juge de Cassation. Le premier ministre Latortue avait une mission précise, celle entre autres d’organiser les élections qui ont abouti au deuxième mandat de Préval en 2006. Depuis Latortue a pris un congé de maladie et n’est plus revenu au pays. Il sera difficile pour Martelly qui ne rate aucune occasion d’inaugurer des projets (écoles, marchés, et autres) initiés par l’ancienne équipe de Préval ou par d’autres organisations non gouvernementales de se faire éclipser par Conille.

On veut espérer que les deux hommes, au-delà du verbe, vont garder une franche collaboration pour freiner la paupérisation et la transition politique qui n’ont que trop duré. « Les attentes de la population sont nombreuses, nous avons l’impérieux devoir d’y apporter des réponses concrètes et conformes à l’intérêt général », a réitéré Conille dans son premier discours à la Nation.