L’armée n’était pas de retour comme les rumeurs l’ont laissé entendre quelques semaines avant les commémorations du 18 novembre 2011. Date qui rappelle les batailles de Vertières, tenues au nord d’Haïti, dans le cadre des luttes qui ont abouti à l’Indépendance, le 1 janvier 1804. Le chef de l’État, lui-même, une ancienne recrue de l’armée qui a n’a pas pu terminer sa formation militaire, soutient de pied ferme la remobilisation de l’armée démantelée par le président Aristide en 1995. Pourtant, si le projet est pertinent dans le cadre de la reconstruction du pays, Martelly ne semble pas avoir les moyens de sa politique, les pressions de l’Internationale aidant, le président n’a pu qu’émettre l’idée d’une commission civile devant plancher sur l’avenir des forces armées.

On entend dire qu’à une réunion avec des diplomates étrangers, à la réaction qu’ils ne sont pas prêts à financer un tel projet, le chef d’État haïtien a répliqué : « Qui vous demande de financer mon armée? ». Si ces rumeurs paraissaient justifiées suivant le franc parler de Martelly, la plupart de ceux qui attendaient la parade traditionnelle de l’armée étaient tout simplement déçus.

D’abord, les militaires démobilisés, qui se sont constitués en association et qui ont recruté des jeunes hommes et femmes motivés à servir la société dans la nouvelle force, ont exprimé leur mécontentement. Donc ils n’auront pas un solde demain matin. Qui plus est, leur fond de pension gelé depuis des années continue de nourrir leur désespoir face aux tergiversations du gouvernement de Martelly/Conille dans ce dossier, surtout que la remobilisation de l’armée fut une promesse électorale très prisée auprès de la population et cela pour plusieurs raisons. Certains y voient une filière pour créer de l’emploi dans un pays où le taux de chômage avoisine les 50%. Par ailleurs, la remobilisation éventuelle de l’armée représente, pour la plupart des Haïtiens, un regain de la souveraineté nationale puisque le pays est, tour à tour, occupé depuis 1994 par des soldats américains et plus récemment par des forces spécialisées de l’ONU. Autant dire, cela fait une quinzaine d’années que la sécurité du territoire nationale n’est plus assurée par une armée indigène. Si la Communauté internationale continue d’argumenter que la remobilisation de l’armée n’est pas une priorité pour l’instant, elle aura du mal à soutenir sa thèse confrontée aux récentes données sur Haïti.

La MINUSTAH, force onusienne d’occupation d’Haïti, gruge des dépenses de 800 millions de dollars par année, soit plus de la moitié du budget national de l’ordre de 1,3 milliard de dollars. Si dans un premier temps, Martelly parlait de 95 millions de dollars, il a revu à la baisse le coût annuel de la remobilisation de l’armée, qui est passé maintenant à 25 millions de dollars. À ce prix, une armée indigène serait bien plus bénéfique au pays. De plus les rapports entre la force onusienne et la population se sont envenimés récemment surtout avec l’épidémie du choléra dans laquelle plusieurs rapports scientifiques indépendants ont indexé le contingent népalais de la force onusienne. Actuellement, une plainte est portée auprès des instances internationales pour dédommager les milliers de victimes de cette épidémie éradiquée en Haïti depuis plus de cinquante ans. Et comme si ce n’était pas assez, le viol collectif de certains soldats de la MINUSTAH par au moins quatre membres du contingent uruguayen a défrayé les manchettes et a été visionné sur le site Web de YouTube par des milliers d’internautes.

La Communauté internationale aurait du mal à justifier le niveau d’insécurité qui augmente à Port-au-Prince où les organisations des droits de l’homme ont recensé 98 morts dans l’espace de six semaines entre octobre et novembre 2011. Du point de sécurisation des zones frontalières avec la République dominicaine, les Haïtiens sont de temps à autre massacrés par des Dominicains sous l’œil impuissant de la police nationale qui n’a ni les équipements ni les ressources humaines adéquats pour répondre à ces dérives. En début de novembre 2011, trois Haïtiens sont morts et plusieurs disparus suite à la mort d’un Dominicain. Le conflit a nécessité plusieurs visites des autorités de la Chancellerie haïtienne pour calmer les esprits en accord bien sûr avec les diplomates dominicains basés à Port-au-Prince.

Si au coût de 800 millions de dollars par année, le pays n’est pas stabilisé par la MINUSTAH qui a tellement de reproches à son actif, sa raison d’être doit être remise en cause et son retrait progressif n’est qu’une suite logique d’une plaisanterie de mauvais goût qui n’a que trop duré. Si après une quinzaine d’années, le pays peine à prendre sa sécurité en main, il y va de soi que l’approche de la coopération internationale a piteusement échoué. Sauf que Martelly prend du temps à se montrer à la hauteur des défis de l’heure. Toutes les forces vives de la nation ont leur mot à dire dans la remobilisation d’une force qui avait longtemps servi à réprimer les voix dissidentes aux dictatures qui ont marqué Haïti.