Madame la rédactrice,

Si j’ai décidé de mettre plume au papier aujourd’hui c’est dans le but de remettre certaines pendules à l’heure vis-à-vis la question de la gouvernance et de la succession à Monsieur Roland Mahé au Cercle Molière.

Pour ceux qui croient que Le Cercle Molière nous appartient tous, détrompez-vous. Le Cercle Molière, tel qu’il est constitué présentement, n’est pas un organisme « communautaire » à proprement parler – c’est la compagnie de Roland Mahé. Conséquemment, il a le droit de gérer sa compagnie comme bon lui semble. Je crois qu’il l’a mérité. Cela étant dit, nous pouvons nous entendre sur le fait que le théâtre – c’est à dire l’édifice qui abrite présentement Le Cercle Molière – « nous » appartient. Le théâtre est situé sur le terrain du CCFM, qui est une société d’État. La communauté y a aussi contribué près de 2 millions de dollars pour sa construction. Mais il ne faut pas confondre le théâtre et la compagnie. Ce sont deux choses bien distinctes.

Comme je viens de le dire plus haut, Le Cercle Molière est la compagnie de Roland Mahé. Il l’a bâtie et a su la développer, la faire grandir. Il s’est sacrifié, il y a donné sa vie et nous devrions le célébrer pour cette réussite, parmi bien d’autres. Maintenant, il se prépare à léguer sa compagnie. La question est à savoir quelle forme prendra cette « nouvelle » compagnie. Le souhait chez certains serait que la compagnie devienne une institution publique. En d’autres mots, il y a des gens qui souhaitent que Roland Mahé fasse un legs de sa compagnie à la communauté pour en faire un « organisme » communautaire.  Ce cas échéant, la « nouvelle » compagnie devra rendre des comptes à la communauté qu’elle dit desservir et devra agir de façon bien plus transparente.

Le Cercle Molière n’est pas seulement à un carrefour, il se prépare à trouver un successeur à son « fondateur. » (Je ne suis pas sans savoir la longue histoire du Cercle Molière – si j’emploie ce terme dans le cas présent c’est parce que Roland Mahé y est le directeur artistique depuis 44 ans et c’est lui qui l’a transformée d’une troupe d’amateurs en une compagnie de théâtre.)

Ce genre de transition est complexe, périlleux et délicat. Ce n’est pas sans se rappeler des transitions, parfois désastreuses, dans le domaine de la danse, où la compagnie s’est formée autour d’un danseur ou danseuse principale. Si l’on doit se fier à l’histoire de ces transitions difficiles, nous avons raison d’être inquiets. Ce genre de transition nécessite souvent des réformes majeures pour refléter l’évolution en cours. Parfois, il faut revisiter la mission et les valeurs de la compagnie et établir de nouveaux plans stratégiques à court et à long terme. Parfois, il faut revoir la vision de la compagnie et ses choix artistiques. Dans d’autres cas, les administrateurs ont jugé que c’était le moment opportun pour apporter des réformes sur le plan du fonctionnement de la compagnie, y inclus le fonctionnement du conseil d’administration. Parfois une restructuration complète est de mise. Une transition majeure comme celle-ci est aussi un bon moment d’évaluer et de revoir ses effectifs, y inclus ses ressources humaines, car nul n’est sans savoir que la démission d’un directeur entraîne aussi d’autres démissions d’employés qui lui ont été fidèles. Lors de la succession d’un fondateur, il doit aussi y avoir un examen et une définition des rôles du nouveau et de l’ancien directeur. Il suffit non seulement de s’assurer de célébrer le fondateur, mais aussi de définir son rôle dans la « nouvelle » compagnie. Cette définition est essentielle si nous souhaitons réellement donner les outils nécessaires au nouveau directeur pour assurer sa réussite. L’ombre d’un fondateur est souvent très longue et peut nuire au travail de son successeur. Chose certaine, nous pouvons nous entendre sur le fait que ce genre de transition se traduit toujours par une période d’instabilité, souvent même d’ordre financier.

Bref, un plan de succession ne se limite pas à la recherche et la nomination d’un nouveau directeur. Et pour que ce genre de succession réussisse, il faut que la transparence soit de mise pour toutes les parties intéressées.

Sachez que ce ne sera pas chose facile. Le conseil d’administration devra s’entourer de gens qui ont l’expertise, l’expérience et le courage d’apporter ces changements et ces réformes à la compagnie. Et ce sera un travail énorme. Rares sont ceux qui connaissent les pratiques et les normes généralement reconnues dans le milieu du théâtre professionnel, et ce serait souhaitable, il me semble, de pouvoir compter sur eux et sur leurs conseils judicieux pour assurer la « renaissance » de la compagnie.

Or, pour l’instant, le conseil d’administration a choisi de rester muet sur la question. Sachez, chers membres du conseil d’administration, que votre silence devient de plus en plus assourdissant. J’espère que vous avez pris le temps de sonder les intérêts de toutes les parties intéressées, y inclus vos bailleurs de fonds, vos commanditaires, les organismes partenaires, les membres du personnel, vos abonnés et la communauté (qui est le propriétaire de l’édifice que vous occupez). J’espère aussi que votre plan de succession sera rendu public le plus tôt possible. Les enjeux sont trop importants pour que tout ceci se passe en catimini.

Raymond Hébert a raison de faire des parallèles avec l’ancien Collège universitaire de Saint-Boniface lorsqu’il est passé des mains du clergé aux laïcs. Il y a des leçons à tirer de cette histoire. Le transfert du pouvoir, surtout dans des cas particuliers comme celui du Cercle Molière ou de l’ancien CUSB, doit se faire avec la plus grande transparence possible. D’ailleurs, je vous invite tous à relire les propos très judicieux de Monsieur Hébert dans sa chronique sur le site Web de La Liberté www.la-liberte.mb.ca.

Je crois que c’est tout à fait louable que certaines personnes réfléchissent et posent des questions au sujet de l’avenir du Cercle Molière. Que des gens de la communauté s’y intéressent avec autant de passion est certainement de bon augure. Il est très sain et signe d’une grande maturité que la communauté souhaite avoir une discussion au sujet de la compagnie, de sa gouvernance et de la succession pour assurer la pérennité, la vitalité et la pertinence du Cercle Molière.

Tout cela étant dit, je ne vois pas comment ce questionnement viendrait ternir l’image, la réputation et l’intégrité de la compagnie de Roland Mahé, des membres de son conseil d’administration ou de son personnel. Certains diront que nous avons peut-être été trop indulgents avec Monsieur Mahé. Soit. Vous avez le droit à votre opinion. Sachez qu’il avait le droit de quitter sa compagnie lorsqu’il le souhaitait. Et s’il ne voulait pas apporter certains changements ou réformes sous son règne, c’était bien son choix. Cette discussion ne devrait pas non plus porter sur la qualité ou les choix de programmation du passé. Vous avez le droit à votre opinion sur toutes ces questions, mais nous ne devrions pas faire le procès de Roland Mahé pour autant. Nous devrions le célébrer.

Dans le même ordre d’idée, il ne faut pas non plus faire le procès des gens qui réfléchissent à cette transition et qui osent poser des questions publiquement. Ils ne sont pas des traîtres ou des ennemis. Ils ne veulent pas non plus ternir l’image ou la réputation de quiconque ou de quoi que ce soit. Et ils ne veulent certainement pas voir la destruction du Cercle Molière. Prétendre le contraire est tout à fait absurde. Pour ceux qui disent « Soit que vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous », sachez que cette logique est non seulement tristement réductrice, simpliste et manichéenne, mais elle vient aussi diviser inutilement les gens. On peut être fier et questionner en même temps. Par exemple, je peux être un fier citoyen canadien et ne pas être d’accord avec les politiques de mon gouvernement. L’un n’empêche pas l’autre. C’est la nature même de la démocratie. D’ailleurs, je tiens à vous rappeler qu’une société qui évolue en absence de la critique est vouée à la médiocrité. À défaut d’une déclaration quelconque du conseil d’administration au sujet de ses plans de succession, les sentiments d’inquiétude, d’incertitude et d’angoisse règnent et continuent sans cesse de grandir. Soyez patients, chers citoyens : je suis confiant que le conseil d’administration fera preuve de transparence et calmera sous peu vos esprits anxieux et agités. En attendant, il ne faut surtout pas tomber sous le coup de la peur, de l’hystérie et de la paranoïa.

Alors, pour ceux qui croient qu’il y a un complot sinistre qui sévit à Saint-Boniface…

À ce que je sache, il n’y a ni complot, ni société secrète. Il n’y a pas non plus de petite « guéguerre » menée par « un petit groupe de frustrés » qui se rencontrent en conciles secrets à la lueur de chandelles noires. Du même coup, je ne crois pas qu’existe un complot sinistre au sein du conseil d’administration du Cercle Molière. Je n’ai aucun doute que le conseil d’administration du Cercle Molière a les meilleurs intérêts de sa compagnie à cœur. Décidément, de part et d’autre, il y a des gens qui ont vu trop de cinéma américain.

Pour ceux qui persisteront à croire qu’il y a un complot sinistre quelconque, je vous invite à l’écrire sous forme de pièce de théâtre et à me l’envoyer au Théâtre Vice Versa Theatre. Je me ferai un plaisir de la monter moi-même – ce qui fera, j’en suis certain, de l’excellent théâtre.

 

Marc Prescott | Directeur artistique Théâtre Vice Versa Theatre | Saint-Boniface (Manitoba) | Le 23 février 2012