La Liberté du 21 mars 2012
Stéphane Dandeneau et Pauline Turenne.

La pauvreté, la discrimination raciale et la honte ont profondément marqué les Métis francophones du Manitoba. Or, une étude récente révèle que des gains importants ont été faits, grâce aux stratégies employées par ce peuple résilient.

 

Les Métis francophones du Manitoba ont fait preuve de résilience au cours du 20e siècle et au fil des récentes décennies. C’est du moins ce que révèle une étude dévoilée le 16 mars au Fort Gibraltar lors de la Fête des Capables, soirée organisée par le Conseil Elzéar-Goulet et l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba.

Intitulé Récits de résilience, le projet découle de Roots of Resilience, une étude de la résilience chez les peuples autochtones effectuée par l’Université McGill et la Culture and Mental Health Research Unit de l’Hôpital juif de Montréal.

« Nous avons interviewé 72 Métis âgés de 18 à 90 ans, des communautés urbaines et rurales du Manitoba », explique le professeur en psychologie à l’Université du Québec à Montréal, Stéphane Dandeneau, qui a travaillé avec le docteur Lawrence Kirmeyer de l’Hôpital juif de Montréal, alors qu’il complétait son stage postdoctoral au Culture and Mental Health Research Unit.

« Nos intervenants sont de Saint-Boniface, de La Broquerie, de La Salle, de Saint-Georges, de Saint-Laurent et Saint-Pierre-Jolys et plusieurs autres communautés, explique Stéphane Dandeneau. Ce que nous cherchions à comprendre, c’était les épreuves et les stratégies de survie collectives des Métis. Ce que nous avons découvert était aussi fascinant et engageant sur le plan personnel que professionnel, étant donné que je suis moi-même Métis francophone du Manitoba. »

L’étude révèle que les Métis francophones ont connu la pauvreté, la discrimination et la honte. « Dans bien des commu­nautés, la pauvreté des Métis était extrême, rappelle Stéphane Dandeneau. Heureusement, la situation s’est beaucoup améliorée. Mais les aînés recensés en ont été profondément marqués.

« Se fermer la yeule »

« Quant à la discrimination, elle s’est avérée surtout externe, poursuit-il. La majorité anglophone a longtemps méprisé les Métis. Les Canadiens-Français ont, pour leur part, également fait preuve d’attitudes et de comportements discriminatoires à l’égard des Métis. » Selon l’étude, la discri­mination a créé chez les Métis un sentiment de honte collective qui a perduré sur plusieurs générations.

« Au fil de plusieurs décennies, les Métis se sont «fermés la yeule», en cachant leur identité des gens qui les entouraient, qu’ils soient francophones ou anglophones. De nos jours, les Métis s’affichent avec fierté.

« Chose curieuse, nous avons constaté que la discrimination existe toujours, continue-t-il. Mais elle est interne. Aujourd’hui, les autres communautés acceptent les Métis. C’est même cool d’être Métis. Mais de nos jours, un Métis au teint foncé peut bien aisément approcher un Métis blond à la peau blanche pour le questionner sur l’identité métisse qu’affiche ce dernier. » Comment les Métis ont-ils surmonté la pauvreté, la discri­mination et la honte? Récits de résilience conclut que les Métis, des gens très indépendants, ont fait preuve de débrouillardise, et ont réussi à sortir de leur pauvreté sans se fier aux instances commu­nautaires ou gouvernementales.

En outre, les Métis ont souvent déjoué la discrimination en pratiquant le caméléonage social. « Ils parlaient en anglais à l’anglophone, s’adressaient en français aux Canadiens-Français et se parlaient en Michif en famille, indique Stéphane Dandeneau. En somme, ils se sont cachés. Et cela a permis à toute une génération de se faufiler inaperçus dans la société. La stratégie a été efficace chez les Baby Boomers, parents des jeunes métis d’aujourd’hui. »

Selon Récits de résilience, ce qui reste d’irrésolu chez les Métis du 21e siècle, c’est une peine et une confusion identitaires, née en quelque sorte du camé­léonage social. « Le consensus identitaire des Métis a été érodé avec le temps, explique Stéphane Dandeneau. Pendant très longtemps, beaucoup d’aînés n’aimaient pas parler de leurs racines métisses. Le Michif a disparu dans plusieurs commu­nautés. Le résultat est que les trois générations interviewées éprou­vent un désir vif d’approfondir leur identité métisse, mais ne savent pas tout à fait comment le faire. Les jeunes éprouvent vivement cette confusion. «Je suis Métis», se disent-ils. “Mais qu’est-ce que cela veut dire?” »

 

Daniel BAHUAUD | journaliste