Éditorial par Jean-Pierre Dubé

LA LIBERTÉ DU 26 SEPTEMBRE AU 2 OCTOBRE 2012

Ils sont nombreux à essayer. Des Maghrébins se noient au large de l’île de Lampedusa, au sud de l’Italie, jetés à la mer par des passeurs. À Chiasso, en Suisse, des Georgiens rôdent la nuit, cherchant à voler un morceau du paradis sans se faire refouler en enfer. Des Érythréens enlevés dans un camp de réfugiés sont vendus à la frontière égyptienne.

L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) en faisait état en juillet 2012.

« Les passeurs s’intéressent surtout aux téléphones portables des réfugiés qui ont enregistré des numéros d’Érythréens domiciliés à l’étranger. La torture commence dès que le contact avec ces personnes est établi. Quand les proches entendent crier la victime, ils sont prêts à tout pour réunir le montant de la rançon. Les sommes réclamées oscillent entre 5 000 et 40 000 $ américains. En cas de non-paiement, l’issue est encore plus dramatique. Les personnes concernées peuvent être vendues à d’autres bandes criminelles dans le nord du Sinaï où elles sont ensuite retenues comme esclaves ou tuées dans le but de vendre leurs organes. »

On manque de mots pour parler des traumatismes des réfugiés, souvent perdus entre deux mondes. Ils sont nombreux : 876 000 demandes d’asile ont été faites en 2011 dans le monde. Les pays d’accueil abritent et nourrissent, fournissant travail et soins médicaux. Mais la population locale peut exclure les migrants et les accuser – parfois avec raison – de nuire à la sécurité, à la culture et à l’économie. Il arrive aussi que des terroristes se fassent passer pour des réfugiés.

On veut bien fournir l’asile, mais où réside l’équilibre, demandent les populations des pays d’accueil? Doit-on mettre en cause le fondement même de la qualité de vie : stabilité, sécurité, productivité, santé et environnement?

Le Canada accueillait un nombre record de 280 681 immigrants en 2010, dont 24 696 réfugiés. Ces arrivants sont pris en charge par des structures de plus en plus solides, en particulier dans les communautés francophones. Mais il y a encore des réfugiés de l’intérieur, des communautés autochtones, agonisant hors de vue dans des conditions inimaginables.

Le Canada ne porte-t-il pas la marque des aventuriers, marginalisés et rejetés ayant trouvé la paix ici au cours des derniers siècles après avoir été persécutés ailleurs? 22 % de Canadiens sont nés à l’extérieur du pays. La nation a été construite grâce à l’immigration.

Après avoir reconnu qui est arrivé en premier, deuxième, troisième et centième, puis accordé les droits et privilèges appropriés, est-ce qu’il arrive un moment d’équité pour tous? Pas facile. La complexité des enjeux exacerbe le débat sur les modalités, surtout en période de crise économique.

L’été dernier, le Canada a réduit la couverture médicale destinée à certaines classes de réfugiés. Cet ajustement a valu aux ministres des affrontements publics avec des médecins et infirmières. Si bien que le Manitoba a décidé de maintenir les soins (et de facturer Ottawa). Il y a même un fournisseur privé de la province qui poursuit le fédéral pour bris de contrat.

C’est dans ce climat que le Centre canadien pour l’emploi des réfugiés a tenu son Gala Gratitude le 20 septembre à Winnipeg. L’évènement annuel permet de valoriser, entre autres, les réfugiés du Manitoba, dont cette année la directrice de l’Accueil francophone, Bintou Sacko. On a toutes les raisons de se sentir solidaires en se rappelant nos diverses origines.

À partir des débuts, c’est avec de nouveaux voisins qu’on a construit la nation. Mais le choc du changement que vivent arrivants et accueillants peut-il encore donner naissance à des communautés dynamiques? La question se pose, entre autres, à Saint-Boniface.