Le 4 novembre, Orise Lapointe va fêter ses 100 ans. Dans un esprit d’humilité et de reconnaissance, à l’image de sa vie au service d’autrui.

 

L’âme centenaire de Saint-Pierre-Jolys

Orise Lapointe était caissière en chef à la Caisse. En médaillon : Orise Lapointe.

 

La doyenne de Saint-Pierre-Jolys n’a pas le centenaire triste : un petit rien suffit pour l’amuser. À la voir se tenir bien droite, il est aisé de ressentir qu’Orise Lapointe possède au plus haut point le sens de la dignité. Une impression unanimement confirmée par sa parenté comme par les anciens du village, qui identifient la jubilaire au temps pionniers de la Caisse populaire.

Il n’y a pas besoin de parler longtemps avec Orise Lapointe pour apprendre combien les trois décennies qu’elle a passées au service de la caisse populaire sont gravées dans sa mémoire. Car si la centenaire n’est plus concernée par des dates précises, elle est volontiers prête à rappeler quelques temps forts de sa longue vie : « J’ai travaillé pendant 31 ans à la Caisse. Pendant des années j’ai été la seule employée. Au début, on n’avait pas de machine. Ma machine, c’était un crayon et ma tête. »

En insistant un peu, cette personne pleine de retenue accepte de préciser : « C’était pas trop facile pour travailler avec les comités. Il fallait prendre des notes. Et c’était rien que moi qui prenais les notes. Si je me trompais, je n’avais personne pour m’aider. Il fallait que je me serve de ma tête et de mon crayon! »

Une manière concise d’exprimer la nécessité de se servir de son bon jugement. Embauchée en 1946, alors que la petite caisse fondée en 1938 avait déjà connu deux gérants, Orise Lapointe comptait les cennes et devait composer avec le tout-puissant comité de crédit, qui accordait ou refusait les demandes de prêts.

En pensant à cette source de friction, Denis Joubert, dont la mémoire est encore solide à presque 89 ans, rend un hommage appuyé à l’ancienne directrice : « Pour gérer la Caisse, Orise c’est une des plus franches qui a passé dans Saint-Pierre. La franchise d’Orise, c’était de reconnaître la valeur d’une personne qui voulait emprunter de l’argent et de rédiger un rapport au comité de crédit pour lui faire avoir son emprunt. Ensuite, Orise remplissait ta demande. Elle comprenait et savait respecter le but de la Caisse. Et en plus, elle était réellement aimable dans son ouvrage.»

La sœur de Denis Joubert, Marguerite Joubert, 95 ans, garde aussi de bons souvenirs de l’aînée du village : « Sa maison était près du couvent. J’aimais passer devant chez elle. L’automne dans sa cour, aussitôt qu’une feuille tombait, elle était ramassée. Tout ce qu’elle faisait, c’était parfait. » Et son frère ajoute, manière de renforcer sa considération à l’égard de celle qui a œuvré 20 ans seule à la Caisse jusqu’à l’arrivée d’Olivier Beaudette en 1966 : « La manière qu’Orise entretenait sa maison, ça prouvait qu’elle était bien capable de tenir la Caisse. »

Célibataire, Orise Lapointe a pris soin de ses vieux parents, Rose de Lima Lahaie et Arthur Lapointe, qui avait exercé le métier de boulanger. Toutefois, son esprit de famille s’étendait sans effort jusqu’à la grande famille villageoise, comme le souligne son neveu Claude Lapointe : « Ma tante avait sa main tout le temps levée pour faire du bénévolat. Je n’ai qu’à penser à son engagement avec les Dames auxiliaires. Elle était aussi comme une tache sur le terrain de la Société d’agriculture. Ma tante avait un pouce vert et un faible pour les roses trémières et les glaïeuls. En avant de sa maison, je revois encore très bien une superbe rangée de glaïeuls de trois pieds de large et d’au moins 50 pieds de long. Question bénévolat, il y a eu aussi l’église. Après le départ des Sœurs de Saint-Pierre, elle est devenue sacristine. »

Un travail volontaire que la centenaire n’a pas oublié : « Je préparais le linge que le curé mettait, et il fallait que je serre tout après. À Noël et Pâques, ça faisait bien de l’ouvrage. Mais c’était mes temps préférés. » Claude Lapointe renchérit sur l’engagement communautaire de la sœur d’Adélard Lapointe, le père de Claude : « Ma tante était là pour aider après les funérailles, pour faire la vaisselle aux soupers paroissiaux. Elle participait vraiment de bon cœur. »

Monique Lapointe, la nièce d’Orise, revient sur la dimension familiale : « Ma tante aimait beaucoup faire la Page de Bicolo dans La Liberté avec mes enfants Damien, Serge et Pascale. Ma fille Pascale se souvient aussi d’avoir joué aux cartes avec ma tante. Et mon garçon Damien n’a pas oublié qu’elle avait toujours des raisins au chocolat. »

Un détail révélateur du péché mignon que la jubilaire a cultivé toute sa vie : « J’ai le bec sucré. J’aime tout ce qui est sucré. Ma confiture préférée, c’est celle qui a bien du sucre! », ajoute-t-elle avec un petit rire. Serait-ce par hasard le secret de sa longévité? Retour immédiat au sérieux. Et après un bref instant de réflexion, Orise Lapointe remarque : « Ça, c’est le Bon Dieu qui le sait. »

La doyenne de Saint-Pierre n’a pas passé toute sa vie dans la localité. La native de Makinak est arrivée avec sa famille à l’âge de quatre ans à Saint-Pierre-Jolys, où elle s’est toujours déplacée à pied, n’ayant jamais possédé de voiture. En revanche, précise son neveu Claude, « ma tante a beaucoup voyagé : Paris, Rome, Fatima, Lourdes ».

Maintenant, les voyages d’Orise Lapointe, qui a intégré le Repos Jolys à l’âge de 96 ans, sont intérieurs. À un doigt, elle porte deux belles bagues. « Ce sont deux bagues de maman. » Après une pause, elle tient à dire : « C’étaient des bons parents. Nous étions deux frères et quatre sœurs : Lucien, Adélard, Orise, Irène, Rita et Thérèse.»

Autant dire que la fête marquant ses 100 ans va être une grande fête de famille, où les disparus auront autant de place que les vivants dans le cœur d’Orise.

 

Par Bernard Bocquel – Collaboration spéciale