Éditorial par Jean-Pierre Dubé

DU 28 NOVEMBRE AU 4 DÉCEMBRE 2012

Lorsque Ubisoft de Montréal a récemment lancé son extraordinaire jeu vidéo Assassin’s Creed III (AC3), elle a reçu des remontrances de Toronto. Un quotidien a protesté que la société, après avoir reçu des fonds fédéraux, s’amuse à tordre la vérité en présentant un héros métis qui assassine allègrement les Redcoats dans la Nouvelle-Angleterre de 1775.

On ne joue pas avec l’Histoire, surtout en ces temps où l’administration Harper tente de glorifier le patrimoine militaire canadien. En 1812, nos Autochtones auraient appuyé les Britanniques contre les Américains.

Comme on sait, l’Histoire est écrite par les vainqueurs. Mais voici un héros de AC3, Connor Kenway, fils d’un Britannique et d’une Mohawk. Le guerrier surdoué jure de venger sa tribu et de libérer son pays des impérialistes. Aux yeux des Torontois, Kenway devrait être un vaincu.

Ubisoft a aussi présenté la première héroïne de AC3, Aveline de Grandpré: Louisianaise, fille d’une esclave africaine et d’un soldat français. Plus armée et dangereuse que Zeta-Jones dans Le Masque de Zorro, la Métisse participe en 1765 à la rébellion contre l’armée hispanique.

À quoi joue Ubisoft? AC3 est l’ultime quête pour des artefacts d’Éden susceptibles d’empêcher la fin du monde en décembre 2012. Ses génies misent sur des Métis aux capacités surhumaines voyageant dans l’espace et le temps. Comme un Gabush Dumontier imaginaire pratiquant sa guérilla dans l’ubiquité pour éliminer les soldats de Middleton en route pour Batoche.

Si le Métis est un héros puissant qui retrouve sa place, c’est comme la fin du monde. Et ses lettres de noblesse viennent de paraître ce 25 novembre. Le récit journalistique Les Fidèles à Riel, de Bernard Bocquel, retrace « 125 ans d’évolution de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba ».

Avec ses 770 pages de micro-histoire, voici l’œuvre la plus complète et engageante sur la nation fondatrice et sa lutte pour garder vivant son passé. Car dès la signature de l’Acte du Manitoba –  rappelons-le – l’étau des nationalismes virulents s’est refermé sur la jeune nation. L’œuvre reprend, après Trémaudan en 1934 avec Histoire de la nation métisse, le flambeau de cette saga à relire impérativement.

Les Fidèles est un travail de grand journalisme. Bernard Bocquel a exercé une influence déterminante sur la qualité éditoriale de La Liberté à partir de son arrivée à Winnipeg comme coopérant français en 1978. Au service de l’habilitation des Métis, sa plume est trempée dans le respect. Son récit est le résultat de six années de recherche, d’entrevues et de réflexion à partir des premières fêtes de la Saint-Joseph, patron de la nation, en 1887.

La dévotion au père de Jésus n’est pas banale. Elle permet aux Métis de se distinguer ethniquement, puis politiquement, des autres Canadiens français ayant pris leur place et qui fêtent aussi avec messe et pique-nique leur Saint-Jean-Baptiste. On apprend comment les Métis ont longtemps et vainement tenté d’unir les deux groupes. Le récit défend le choix de Saint-Joseph par Riel, que la mort transforme en héros national, justifiant ainsi l’existence de la nation métisse.

Plusieurs chapitres sont consacrés au grenouillage entre nationalistes, ecclésiastiques et politiciens. De quoi enrager suffisamment pour convaincre Ubisoft d’imaginer un vengeur métis, un franc-tireur surnommé La Barrière. Mais le journaliste suit la piste de la dignité humaine. Chacun peut trouver des liens affectifs dans ce livre facile d’accès à partir d’un index de quelque 2 000 noms, lieux et organisations.

L’œuvre de Bernard Bocquel permet de régler tranquillement des comptes, de sortir des marges du grand jeu de l’Histoire. Peut-être que nous sommes tous Métis, liés à l’aventure des fidèles. Mais que faire pour continuer la réhabilitation?

Le mot de la fin du livre appartient au président Gabriel Dufault de l’Union nationale métisse: « Année après année, notre force d’attraction, je devrais dire notre force de guérison, augmente ». Où cela peut-il mener? Les fidèles reprennent leur place. Ils n’ont pas dit leur dernier mot.