Carlos Miguel Prieto
Carlos Miguel Prieto

Le jeune chef mexicain Carlos Miguel Prieto, qui avait fortement impressionné lors de ses débuts à l’Orchestre symphonique de Winnipeg en janvier 2011, est revenu diriger ce qui fut sans doute le plus beau concert de la saison de l’OSW à ce jour, les 1 et 2 mars 2013.

Prieto a agencé un programme d’oeuvres de Zoltán Kodály, Béla Bartók, et Johannes Brahms, trois compositeurs qui ont puisé une partie de leur inspiration dans la musique folklorique hongroise et tzigane et les paysages bucoliques de la nature traversée par le Danube. Prieto, qui a la réputation de maîtriser déjà un très vaste répertoire, connaît bien la musique hongroise, avec laquelle il s’est familiarisé lorsqu’il a étudié le violon avec des professeurs hongrois.

Un chef exceptionnnel !

Homme d’une grande simplicité, Prieto a une personnalité très attachante. Il est un excellent communicateur, autant avec le public qu’avec les musiciens. Il ne cherche pas à impressionner ni à se mettre en évidence. Son style de direction est simple, il ne se donne pas en spectacle. Le travail ayant été bien fait en répétition, il n’a pas à se préoccuper de contrôler tous les détails pendant l’exécution. On le voit même souvent laisser aller l’orchestre, n’intervenant qu’aux moments cruciaux d’un changement de rythme ou d’atmosphère. M. Prieto a une très grande sensibilité musicale qu’il sait communiquer aux musiciens. Les phrasés sont magnifiquement exposés, faisant bien sentir le sens et l’émotion de la musique. Il maîtrise parfaitement les nuances, évitant les “effets” et contrastes exagérés, sauf lorsque cela s’impose par le sens de la musique. Sous sa direction, on sent que les musiciens jouent et s’expriment plus librement et l’orchestre a une plus belle sonorité.

Au programme : folk hongrois, rhapsodies pour violon…

La première oeuvre au programme, Danses de Galánta de Zoltán Kodály, est inspirée principalement de la verbunkos, une danse traditionnelle hongroise de recrutement militaire. Kodály avait accumulé un grand fonds de musique folklorique et tsigane, dans lequel il a puisé pour écrire Danses de Galánta, une commande de l’Orchestre philharmonique de Budapest pour son 80e anniversaire de fondation en 1933. L’oeuvre respecte l’alternance des rythmes très rapide et lent typique de ces danses, mais ne constitue pas une danse en soi. Elle  débute par une introduction paisible avec des solos des violoncelles, des cors, de la flûte et surtout de la clarinette. Tous ces solos ont été brillamment interprétés. Après une alternance d’épisodes lents et plus rapides, des solos de la flûte et de la clarinette conduisent à un finale vif et électrisant.

Erika Raum
La violoniste canadienne Erika Raum.

Ont suivi les deux Rhapsodies pour violon et orchestre de Béla Bartók, interprétées par la violoniste canadienne Erika Raum. Mme Raum excelle dans la musique hongroise, ayant beaucoup travaillé en Hongrie après avoir terminé au premier rang du Concours international de violon Joseph Szigeti, à Budapest en 1992. Elle a aussi étudié les Rhapsodies de Bartók avec Zoltán Székely, dédicataire de la deuxième. Les deux oeuvres, d’une durée d’environ 10 minutes chacune, sont modelées sur la Czardas, la danse nationale de Hongrie dont la forme est peu structurée, les mouvements lents alternant avec les mouvements rapides sur un signe du danseur. Travaillant en parfaite complicité, Raum et Prieto en ont donné une superbe interprétation. Raum a démontré beaucoup de virtuosité dans des passages très difficiles truffés de pizzicatos et de glissandos, mais elle a surtout impressionné en donnant beaucoup de profondeur d’âme à la musique. Prieto a maintenu un équilibre rythmique et sonore parfait entre l’orchestre et le violon.

La Symphonie No. 3 en fa majeur de Johannes Brahms complétait le programme, la plus courte mais sans doute la plus belle de ses symphonies et même la plus belle musique qu’il ait composée selon certains. C’est une symphonie très romantique, remplie d’émotion, avec de nombreux passages lyriques et de belles mélodies.

M. Prieto et l’orchestre ont donné une interprétation éblouissante. Dès les premières notes de l’introduction du premier mouvement nous avons senti qu’il se préparait quelque chose d’exceptionnel, ce qui s’est immédiatement confirmé dans l’exposé saisissant du premier thème.

La sonorité était belle et les phrasés très expressifs. Le troisième mouvement, annoté Poco allegretto (presqu’un adagio), au lieu du traditionnel Scherzo, d’une très grande beauté, est l’un des mouvements les plus connus de Brahms, dont l’air a été repris dans des chansons de Serge Gainsbourg (Alone in Babylone), Yves Montand (Quand tu dors près de moi), Frank Sinatra (Take My Love), Carlos Santana (Love of my Life), ainsi que par Jo Yeong-wook pour le film de Park Chan-wook, Old Boy (2003). Il a été joué avec un émouvant lyrisme. Cette symphonie, comme plusieurs de ses oeuvres,  reflète dans certains passages l’âme tourmentée et le caractère sévère de Brahms. Mais elle se termine en douceur dans un climat de paisible sérénité.

M. Prieto a surpris l’auditoire en ajoutant au programme une exécution électrisante de la Danse hongroise no 5 en fa mineur de Brahms, concluant ainsi dans la joie ce superbe concert. Un concert qui a attiré moins de 600 personnes à chacune des deux présentations, laissant un vide désolant dans la grande salle du Centenaire. Heureusement, ni M. Prieto, ni les musiciens de l’orchestre ne se sont laissés influencer par cette faible assistance. Ils ont comblé l’auditoire en lui offrant une performance mémorable, pour l’amour de la musique.