Le 16 mars 2013, l’Orchestre symphonique de Winnipeg présentait la Symphonie fantastique d’Hector Berlioz, dans un concert très attendu de la série Masterworks.
Grand romantique, Berlioz s’était épris d’un amour enflammé à sens unique pour l’actrice anglaise Harriet Smithson après l’avoir vue jouer Juliette dans Ophélie, de Shakespeare, en 1827. Pendant trois ans, il lui a envoyé des lettres d’amour passionnées, sans l’avoir jamais rencontrée. Berlioz a eu l’idée en 1830 de composer une nouvelle symphonie sous le titre Épisode de la vie d’un artiste, Symphonie fantastique en cinq parties, en espérant conquérir par la musique la femme qu’il ne réussissait pas à séduire par ses lettres. Harriet Smithson assista à une présentation de la symphonie à Paris en 1832 et fut si bouleversée qu’elle consentit finalement à l’amour de Berlioz.
Se rapprochant d’avantage du poème symphonique que de la symphonie, la Symphonie fantastique est une œuvre à programme dont l’exécution constitue un tour de force, avec une musique descriptive et expressive, de longues mélodies, une orchestration éblouissante et une écriture novatrice s’inspirant des modèles classiques. Berlioz a démenti que l’œuvre soit autobiographique mais elle s’inspire sans aucun doute de ses états d’âme à l’époque. Le programme précis évoque comment un artiste d’éprend d’amour pour une femme qu’il idéalise dans ses rêves. Elle devient comme une idée fixe, qui est évoquée par un thème musical qui est repris tout au long de l’oeuvre.
Tout impressionnante qu’elle ait été, cette exécution la Symphonie fantastique par le chef Alexander Mickelthwate, qui dirigeait de mémoire, n’avait pas le caractère romantique, passionné et fantasmagorique qui distingue et fait la réputation de cette oeuvre. Harriet Smithson ne se serait sans doute pas éprise de Berlioz après avoir assisté à ce concert. Mickelthwate a le sens du spectacle, autant dans sa gestuelle que dans son interprétation de la musique. Il sait que les gens se laissent impressionner par les grands gestes et les effets contrastés de très doux à très fort. Mais cela ne donne pas de sens à la musique.
Fantastique se dit d’ une “œuvre artistique qui transgresse le réel en se référant au rêve, au surnaturel, à la magie, à l’épouvante…” (Larousse) , comme l’a voulu Berlioz avec la Symphonie fantastique. Malheureusement, on n’a pas senti les atmosphères saisissantes de réalisme, l’expression des émotions profondes du désir, de la déception, de l’angoisse ou de la frayeur, dans l’interprétation de Mickelthwate . Berlioz a donné des indications très précises sur le programme de la symphonie, mais Mickelthwate ne semble pas en avoir tenu compte. Par exemple, le ranz des vaches (air populaire des bergers suisses), au troisième mouvement (Scène aux champs), est ainsi décrit par Berlioz: “… se trouvant un soir à la campagne, il entend au loin deux pâtres qui dialoguent un ranz des vaches”. Joué trop fort par le cor anglais, à l’orchestre, et le hautbois, dans une loge, il n’avait pas du tout le caractère mystérieux d’un son éloigné et l’atmosphère pastorale du mouvement n’a pas été proprement sentie. Au cinquième mouvement (Songe d’une nuit du Sabbat), l’imagination de Berlioz déborde dans un délire fantasmagorique “au milieu d’une troupe affreuse d’ombres, de sorciers, de monstres de toute espèce réunis pour ses funérailles” (indications de Berlioz). L’orchestre a joué avec éclat, mais on ne s’est pas retrouvé dans l’atmosphère de terreur démoniaque et les jeux d’ombres fantomatiques à faire frissonner d’effroi que Berlioz est l’un des rares compositeurs à avoir réussi à mettre en musique de manière aussi expressive. Le mouvement le mieux réussi fut le second (Un bal), avec une exécution brillante de la valse, style de musique dans lequel Mickelthwate excelle.
La conclusion apocalyptique de l’œuvre a tutta forze a été suivie d’une longue ovation. Ce finale est en effet très impressionnant et ne peut manquer de soulever l’auditoire. Les musiciens méritaient certainement cette acclamation après une soirée de travail exigeante au cours de laquelle ils n’ont pas manqué de générosité, jouant avec beaucoup d’énergie et de virtuosité.
Présenté en ouverture de programme, Le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel constitue à la fois un hommage aux amis de Ravel tombés au front pendant la première guerre mondiale, chacune des six pièces de l’œuvre étant dédicacée à l’un d’eux, et à François Couperin (1668-1733) qui avait écrit des pièces en mémoire d’amis disparus, leur donnant le nom de “tombeau”. L’écriture de cette œuvre renoue avec la tradition baroque française tout en conservant les teintes harmoniques et les couleurs d’orchestration typiques de Ravel. Nous avons entendu une interprétation convenable, mais Mickelthwate n’a pas réussi à mettre en lumière toute la palette de couleurs de la musique de Ravel. Un auditeur averti me confiait d’ailleurs à la fin de la soirée qu’il n’avait reconnu ni la musique de Ravel ni celle Berlioz au cours de ce concert.
Deuxième œuvre au programme, le Concerto pour violon no. 1 de Serge Prokofiev a été interprété Karl Stobbe, violon solo associé de l’OSW. L’une des oeuvres les plus lyriques de Prokofiev qui en a complété la composition en 1917, elle a connu des débuts difficiles. Le concerto été popularisé par le virtuose Joseph Szigeti, qui l’a joué dans une tournée internationale en 1935. Il était fasciné par “son mélange de naïveté féérique et de sauvagerie provocante”. Stobbe en a donné une brillante interprétation. Homme empreint de simplicité, il n’y a rien de flamboyant dans son style. On a l’impression qu’il s’efface pour laisser toute la place à la musique. Son jeu est précis, il exécute de beaux phrasés et maîtrise sans hésitation les difficultés techniques. Il a été très bien supporté par l’orchestre, Mickelthwate et les musiciens étant manifestement fiers d’accompagner un des leurs.
Orchestre symphonique de Winnipeg
Le 16 mars 2013, Salle de concert du Centenaire, Winnipeg
Alexander Mickelthwate, chef
Karl Stobbe, violon
Le Tombeau de Couperin, Maurice Ravel
Concerto pour violon no.1 en ré majeur, op. 19, Serge Prokofiev
Symphonie fantastique, op. 14a Épisode de la vie d’un artiste, Hector Berlioz