portrait de Monteverdi
portrait de Monteverdi

L’ensemble Camerata Nova a réalisé un rêve qui mijotait depuis 15 ans en présentant pour la première fois à Winnipeg Vespro della Beata Virgine (Vêpres de 1610) de Claudio Monteverdi, en version complète avec instruments d’époque, les samedi 6 et dimanche 7 avril 2013, sous la direction de Ross Brownlee.

Les Vêpres de 1610 sont considérées comme la plus grande oeuvre musicale de l’Occident chrétien avant Bach. Monteverdi a exercé une influence considérable dans l’évolution de la musique polyphonique de la Renaissance vers le “style moderne” de la musique baroque. Certains prétendent que Monteverdi aurait peut-être composé les Vêpres pour démontrer son savoir-faire alors qu’il postulait des postes prestigieux à Venise, où il devint maître de chapelle à la basilique Saint-Marc en 1613, et à Rome, où sa demande n’a pas été acceptée.

Malgré l’utilisation de musique “profane” dans certains mouvements, il s’agit d’une oeuvre sacrée destinée à être chantée à l’office des vêpres (office de la fin du jour), tel qu’il était célébré par l’Église catholique à l’époque. Monteverdi a composé la musique pour toutes les parties  chantées de l’office, à l’exception des antiennes précédant chaque psaume et le Magnificat, qui devaient probablement être simplement chantées en plain-chant (a cappella). Il a laissé beaucoup de latitude quant à l’instrumentation, afin que les Vêpres puissent être chantées avec les effectifs disponibles.

Camerata Nova est composé d’un excellent groupe de chanteurs auquel les sopranos Maria Luz Alvarez et Marni Enns, la mezzo-soprano Kirsten Schellenberg, le ténor Doug Pankratz, le baryton Kris Kornelsen et la basse Derek Morphy se sont très bien intégrés pour former un choeur de 20 voix. Camerata Nova a aussi invité 13 instrumentistes, dont quelques spécialistes de musique ancienne venus expressément de Montréal, jouant avec des instruments d’époque: violons, alto, violoncelle et contre-basse avec cordes en boyau d’animal; saqueboutes (ancêtre du trombone); cornets à bouquin; flûtes baroques; théorbe (sorte de luth à très grand manche).

Ross Brownlee, que ses études du trombone ont amené à la découverte du saqueboute et de la musique ancienne dont il est devenu un spécialiste, a préparé ce concert avec minutie et un grand souci d’authenticité. Les Vêpres de 1610 sont une oeuvre monumentale d’une durée de plus de 90 minutes, dont la forme est complexe et comporte de nombreuses difficultés: polyphonies à neuf voix, choeurs séparés, grande diversité de styles et de rythmes.

Les Vêpres ont été composées pour être chantées dans les grandes cathédrales et basiliques. Construites en pierres avec de grandes nefs voûtées et de hautes coupoles, la réverbération du son y est très longue, ce qui crée les conditions acoustiques particulières qui ont permis le développement de la polyphonie.  En mai 2012, Brownley et Camerata Nova avaient présenté un programme comprenant des oeuvres polyphoniques au Covocation Hall de l’Université de Winnipeg, dont l’acoustique convient bien à ce genre de musique. J’avais écrit à propos de ce concert: “Les polyphonies à huit voix interprétées par les musiciens alignés le long des murs emplissent la salle d’une musique presque céleste. Les voix qui chantent du balcon font penser à un choeur d’anges nous invitant au paradis.”  Même si l’acoustique de l’Église Westminster ne permettait pas un tel achèvement, M. Brownlee a réussi à tout mettre en place pour y donner une remarquable interprétation.

Le choeur a chanté merveilleusement bien. La diction était impeccable. Les voix s’élançaient avec ferveur vers les hauteurs célestes. Les solos ont été partagés entre 14 chanteurs qui ont tous excellé. Les mélismes ont été exécutés avec beaucoup d’expression par les ténors, particulièrement dans le Gloria Patri final. À la représentation du samedi, certaines voix manquaient parfois de puissance. Comme c’était la première exécution devant un auditoire, le son était peut-être plus étouffé que pendant les répétitions. Cela a sans doute été corrigé pour la représentation du dimanche.

Les musiciens ont aussi donné une prestation de très haut niveau. Les instruments d’époque ont un son moins éclatant que les instruments modernes et se marient très bien avec les voix humaines. Dans un si petit orchestre, le jeu de chaque musicien est important pour assurer la qualité de l’ensemble. Les cordes ont joué avec beaucoup de sensibilité et de ferveur, en particulier dans l’Ave Maris Stella et le Magnificat. Nous avons entendu de superbes fanfares par les cuivres (saqueboutes et cornets) et de belles mélodies par les flûtes.

Il y aurait beaucoup à dire sur chacun des mouvements de l’oeuvre. Chaque motet est un petit bijou unique dans sa forme et son orchestration. Les deux parties les plus élaborées sont l’Ave Maris Stella et le Magnificat, qui concluent l’office. Ave Maris Stella est chanté par des choeurs séparés de 4 voix. Il comporte 7 versets dont les 4e, 5e et 6e sont chantés chacun par un soliste différent. Les versets sont séparés par une ritournelle instrumentale qui revient comme un refrain, jouée chaque fois par des instruments différents et enfin par tout l’orchestre. Les choeurs sont placés sur les côtés, les musiciens en avant et en arrière. Cela produisait un son enveloppant. L’effet était saisissant mais n’avait pas assez l’amplitude idéale à cause du manque de réverbération de l’église, comme je le mentionnais plus haut.

Monteverdi  a divisé le Magnificat (Luc 1, 47-55) en douze parties (mouvements), correspondant aux neuf versets du cantique, le premier verset étant divisé en deux parties chantées sans interlude, et aux deux versets du Gloria Patri. Chaque partie est chantée par un ou des solistes accompagnés du choeur et de l’orchestre. Les versets sont séparés par de brèves “méditations” instrumentales où brillent les violons. Le premier verset du Gloria Patri a été superbement entonné par deux voix de ténor se faisant écho de l’avant à l’arrière de l’église, auxquelles se sont ajoutées une voix de soprano sur un doux continuo des voix de femmes. Le second verset, Sicut erat, a été chanté et joué avec éclat par tous, pour se terminer dans un bref et joyeux Amen.

 

Camerata Nova
Les 6 et 7 avril 2013, Église Westminster United de Winnipeg

 

Ross Brownley, chef

Choeur Camerata Nova, augmenté de 6 chanteurs et 13 instrumentistes

Vespro della Beata Virgine (Vêpres de 1610),  Claudio Monteverdi