Par Bernard Bocquel
La Liberté du 20 juillet 2016
Depuis le coup quasi mortel de 1916 lorsque, en pleine Première Guerre mondiale, les tenants d’un Empire britannique aux abois se sont assuré que l’anglais soit la langue commune de tous les Manitobains, la survie de l’élément français a toujours au bout du compte dépendu de la volonté politique des gens de pouvoir.
Autrement dit, des liens personnels, parfois des liens de confiance, que quelques convaincus de la cause métisse française et canadiennefrançaise en terre de l’Ouest ont pu tisser avec des gens d’influence ont été très importants. Comme par exemple, dans les années 1930, Honorius Daignault de l’Association d’éducation des Canadiens français du Manitoba avec le sous-ministre de l’Éducation, Robert Fletcher. (Celui du Robert Fletcher Building au 1181 Portage).
Car même si à l’époque la population manitobaine était dans l’ensemble conditionnée par la mentalité de domination british, quelques esprits disposant d’une mesure de pouvoir acceptaient d’envisager favorablement les aspirations de la minorité francophone à une scolarité bilingue.
Parmi ces personnes, dans l’après-guerre il y eut notamment Duff Roblin, qui devint, sous l’étiquette progressiste-conservateur, Premier ministre du Manitoba en 1958. L’un de ses grands chantiers fut la modernisation du système d’éducation. Il s’y employa avec beaucoup de finesse politique et une bonne dose d’entêtement, car il dut heurter de front des mentalités campagnardes, encore très repliées sur elles-mêmes, ainsi que des anti-catholiques et anti-français bornés.
Malgré ces puissants obstacles, la politique des petits pas de Duff Roblin en faveur du retour de l’éducation en français au cours des années 1960 ouvrit la porte en grand à un autre gouvernement réformateur. En l’occurrence celui de son successeur néo-démocrate Edward Schreyer, qui obtint en 1970 l’appui unanime des deputes manitobains pour la Loi 113, qui rétablissait le plein droit à l’enseignement en français. Roblin était conseillé en coulisse par l’avocat Maurice Arpin ; Schreyer avait l’appui très médiatisé du député de Saint-Boniface Laurent Desjardins.
L’enchaînement de leurs actions fut profitable aux Manitobains ouverts à une vie bilingue. Leurs décisions n’étaient certes pas concertées. Mais c’est le résultat qui compte. Comme pour le récent passage unanime de la Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine. Là aussi, la politique des petits pas en faveur des services en français entamée à la fin des années 1980 par le progressiste-conservateur Gary Filmon et poursuivie par ses successeurs néo-démocrates Gary Doer et Greg Selinger vient à nouveau de porter fruit.
Là encore, il est possible de dénicher un fil conducteur tissé d’humanité, parfois visible, parfois plus souterrain. Des personnes convaincues de la vision canadienne-bilingue du pays ont tissé des liens de compréhension, de respect mutuel, parfois des liens amicaux avec des gens bien placés à tous les niveaux : scolaire, municipal, provincial, fédéral, voire juste bureaucratique.
Fort de cette réalité, Roger Turenne, le premier responsable du Secrétariat des services en français au Manitoba, a souligné dans La Liberté de la semaine dernière combien il lui apparaissait essential que la personne qui succèdera à Mélanie Cwikla, l’actuelle directrice du Secrétariat aux Affaires francophones, puisse « Make friends with Rochelle! ». Il pensait bien entendu à Rochelle Squires, la ministre aux Affaires francophones.
Il est en effet clair, humains que nous sommes, que des relations de confiance sont indispensables pour nourrir la bonne volonté qui, lorsque les circonstances s’avèrent propices, est susceptible d’évoluer en volonté politique.
Justement, la nouvelle Loi 5 formalise l’existence d’un Conseil consultatif des affaires francophones, formé d’au moins une douzaine de personnes. Sa beauté symbolique est qu’il dispose à sa tête d’une coprésidence : un haut fonctionnaire et le PDG (ou la présidence) de la SFM. Au moins deux fois par an, les coprésidents seront tenus de réunir au moins cinq hauts fonctionnaires et au moins cinq « membres de la francophonie manitobaine reconnus pour leur engagement » et nommés par le/la ministre sur recommandation de la SFM.
Le pouvoir de nommer dévolu aux hommes et femmes politiques est l’une des prérogatives les plus lourdes de conséquences à assumer. Qu’il nous soit permis d’espérer que la SFM fasse les bons choix de personnes et que le don du lien avec Rochelle Squires et les hauts fonctionnaires leur soit accordé.