Par Bernard Bocquel
La Liberté du 31 août 2016
Une autre saison de moissons s’achève. Pour les Manitobains qui savent que l’économie de la province se porte mieux lorsque le secteur agricole est florissant, la question toute simple revient : les fermiers ont-ils de bonnes récoltes?
Les initiés se posent la question en termes plus techniques : les rendements ont-ils été bons? Les semences ont-elles répondu aux attentes? Le montant de produits chimiques a-t-il été suffisant? Et, surtout, parce qu’il faut bien vivre : le retour sur l’investissement est-il suffisant? Une question cruciale à un temps où pour rentabiliser des équipements qui se chiffrent en centaines de milliers de dollars, un céréaliculteur doit semer sur des milliers d’acres.
Il est loin le temps où un fermier pouvait faire vivre sa famille avec une propriété qui se calculait en centaines d’acres. Il est encore plus loin le temps où les fermiers arrivaient à subvenir aux besoins élémentaires de leur famille avec 160 acres, le mythique quart de section.
C’est vraiment après la Seconde Guerre mondiale, avec le développement de machines toujours plus performantes, mais en revanche toujours plus chères, qu’une pression formidable a été placée sur le monde rural. Les fermiers se sont retrouvés face à un choix existentiel : laisser la terre ou s’endetter, heureux de racheter les fermes d’agriculteurs trop vieux ou sans volonté de se lancer dans l’agriculture industrielle.
Alors, plus que jamais, obtenir du financement devenait le nerf de la vie fondée sur l’agriculture. Pour être sûr de pouvoir rembourser le banquier, donc pour espérer un maximum de rendement, les fermiers ont pour la plupart volontiers fait usage des produits chimiques. Produits trop longtemps vus comme le miracle capable de débarrasser leurs champs des mauvaises herbes et à même de lutter victorieusement contre les maladies qui réduisent la qualité de leurs récoltes.
Et puis ceux qui ont lié leur sort économique aux fruits de la terre ont fini par reconnaître que les herbicides, pesticides et toutes les combinaisons scientifiques possibles et imaginables d’engrais destinés à adéquatement fertiliser leurs sols n’étaient pas la panacée à leurs soucis et espoirs financiers.
Voilà une trentaine d’années déjà, des voix pionnières se sont élevées pour proposer une autre voie, pour défendre la solution biologique, sans engrais synthétiques, sans sprays toxiques. La lutte pour le contrôle des esprits était engagée. Les multinationales de la chimie et de l’agroalimentaire disposent de poches profondes pour répandre tous les mythes nécessaires pour faire fructifier l’avoir de leurs actionnaires. (1)
Ainsi la pensée conventionnelle répète que nous devons tolérer les produits chimiques toxiques parce que l’agriculture biologique ne peut pas nourrir les sept milliards d’humains que nous sommes. Il s’agit en fait, comme le démontrent les tenants du biologique et de l’agro-écologie, d’une affirmation gratuite.
Comme toujours, la nature aura le dernier mot. Une nature plus que jamais soumise à un terrible stress, dû à l’action industrielle des humains, communément appelé changement climatique. Des experts croient que d’ici 2050, le climat du Manitoba pourrait ressembler à celui du Nebraska.
Sans même tenter de se projeter des décennies en avant, il est à la portée de tous de reconnaître qu’il s’agit au fond d’une question de civilisation. Qu’il s’agit pour nous, qui vivons tous sur cette même Terre, d’un choix de vie. Un peu de sagesse élémentaire suffit d’ailleurs pour admettre que si le profit reste le moteur principal à l’œuvre, les chances que les intérêts de l’Humanité l’emportent sont nulles.
Qui sait si au Manitoba les quarts de section mythiques ne redeviendront pas un jour réalité?
(1) En mai dernier, le géant pharmaceutique allemand Bayer AG a annoncé son envie de racheter l’Américain Monsanto (célèbre pour son Roundup) pour mettre la main sur quelque 2 000 variétés de semences. Des protestations ont eu lieu dans le monde entier, dont Winnipeg, pour dénoncer la création d’un mastodonte agrochimique. L’affaire n’est pas encore conclue.