Karen Dana est une de ces personnes dont il émane une chaleur humaine naturelle. Son sourire rassurant et le ton de sa voix rappellent ceux d’une enseignante, rôdée au métier et au contact avec les jeunes ; elle inspire tout de suite la confiance. Je l’aborde juste après la cérémonie qui récompensait les plus anciens bénévoles du festival, le samedi 8 juillet.
Sa rencontre avec le Folk Fest remonte à 1978. Et tenait un peu du hasard.
« J’étais déjà venue quelques fois auparavant. J’étais là la première année, en 1974. Je ne savais même pas que c’était un festival folk, je savais juste que Bruce Cockburn jouait un concert gratuit à un endroit appelé le Birds Hill Park. »
« Je me souviens de traverser la forêt et entendre des banjos au loin. C’était vraiment cool. C’est comme ça que j’ai découvert le Folk Fest. »
Une deuxième visite en 1977 la convainc du caractère unique de l’événement et, l’année suivante, elle décide de s’impliquer. À ce stade de l’entrevue, je brûle les étapes et la question me vient immédiatement : pourquoi revenir, chaque année, depuis 1978, sans jamais manquer ne serait-ce qu’une édition?
« Tellement de choses! C’est la communauté que nous avons développé, c’est le sentiment d’appartenir à une famille. Beaucoup de mes amis proches sont des gens que j’ai rencontrés au Folk Fest. »
« C’est la musique. Mais c’est aussi le défi que ça représente : partir d’un champ où il n’y a rien, et construire cet endroit génial, et faire partie de tout ça. Et je me sens très fière d’en faire partie. Quand je regarde autour de moi, je me dis, “C’est extraordinaire!”. » À ce moment, son regard se porte autour d’elle et Karen semble réellement ébahie par ces infrastructures qui ont poussé, le temps d’une semaine, au Birds Hill Park.
Petits bénévoles deviendront grands
Ses premiers pas en tant que bénévole, ça s’est fait en arrière scène : en 1978, elle travaille en cuisine avec Harry Paine, l’une des grandes figures du festival à ses débuts, aujourd’hui disparu.
« Je gérais les repas pour les artistes et les bénévoles. Harry était le chef en cuisine, backstage. Il m’a donné – doucement mais sûrement – de plus en plus de responsabilités au fil des années. J’ai finalement pris sa suite en 1984. »
En 1995, soit 17 ans après son premier bénévolat, Karen Dana passe à une nouvelle activité, qui implique des responsabilités encore plus grandes : elle prend en charge la formation des jeunes bénévoles.
« On voulait que les plus jeunes s’impliquent également. Je suis parti de 25 enfants en formation en 1995, à 200 enfants cette année. Ils ont entre 13 et 17 ans. On les place dans différentes équipes au cours de la fin de semaine. De cette façon, ils voient ce que font les bénévoles “adultes” et peuvent décider ce qu’ils veulent faire lorsqu’ils seront des volontaires adultes. »
Le Folk Fest apparaît dès lors comme une société à part, avec ses propres codes et ses rites de passages, tous relatifs à ce petit monde de concerts folk en plein air. Un état d’esprit que Karen Dana transmet aux futurs gardiens du temple.
« Ils aident au tournage vidéo de la grande scène, ils assistent les équipes chargées des scènes, ils aident à la cuisine, ou encore à l’environnement ou la photographie. Ils sont partout. Les équipes les prennent sous leur aile et leur enseignent ce qu’ils savent, pour qu’ils fassent ça un jour. »
Un poste de formatrice qui fait écho à sa carrière professionnelle. « J’étais une travailleuse sociale. Je travaillais avec des adolescents en centre de traitement, puis dans le système scolaire. J’ai pris ma retraite il y a deux ans et demi. C’était toujours un bel équilibre, de mon travail social au bénévolat. »
Elle commence généralement à organiser la venue des “apprentices” dès le mois de janvier.
Plus tard, cette doyenne des bénévoles me confiera que sa fille, enfant, restait auprès d’elle au comptoir, dans la cuisine de l’arrière scène. Des années plus tard, elle a joué sur la grande scène du festival.
Traverser 40 ans en quelques souvenirs
Une multitude de beaux moments lui viennent à l’esprit quand je lui pose la question : quelle fut votre meilleure année? « Oh my. Tous les ans. Parce que toutes les années sont différentes. Peut-être la première parce que je ne savais pas que c’était un festival. Mais depuis que je m’implique comme bénévole, c’est toujours incroyable. »
Même regard songeur quand je lui demande quelle rencontre avec une star l’a particulièrement marquée. Puis elle arrête son choix : « Odetta. C’était était la reine de la musique folk. Elle est venue une année. J’étais à la cuisine, et je suais, il faisait tellement chaud. Elle est venue me voir et m’a dit “Merci pour ce que vous faites.” Et j’ai pensé “Oh mon dieu, c’est Odetta!” »
« Au fil des années, je l’ai hébergé quand elle venait en ville faire des concerts. Puis elle a été honorée par le Folk festival. Et j’ai pu passer du temps avec elle pendant 2 ou 3 jours, on est allés dîner, on a fait plein de choses. C’était très cool. »
Vient la question inévitable. En 44 ans, un festival ne peut rester tout à fait le même. Quel regard porte-elle sur l’évolution du Folk Fest? « C’est palpitant. Bien sûr, j’entends des gens dire “oh, c’était mieux dans le bon vieux temps”, mais s’ils se souvenaient du bon vieux temps… On n’avait pas de téléphone sur le site, pas d’eau courante, on devait se battre pour avoir de l’électricité. Par exemple, si je branchais ma machine à café dans l’arrière scène, peut-être que ça allait couper le son du micro sur la scène principale. Les gens ne réalisent pas les infrastructures qu’on a aujourd’hui – comparé à ce qu’on avait à l’époque. »
« J’aime le fait qu’on ait plus besoin d’envoyer une note à l’hôtel pour poser une question, et recevoir la réponse deux heures plus tard. À l’époque, on faisait comme ça. Je me souviens que la première fois qu’un apprenti bénévole voulait appeler son père sur son cellulaire pour le retrouver, je lui ai dit quelque chose comme, “va marcher et trouve-le!”, mais la réalité, c’est que les choses fonctionnent comme ça maintenant. »
Peu avare en partage de souvenirs, elle en offre un nouveau, qui remonte à 1980 et fleure bon l’esprit hippie, pourtant déjà bien enterré à l’époque dans le reste du monde – mais qui traduit une mentalité bien ancrée chez les habitants du Folk Fest.
« Je me souviens que Pete Seeger est venu en 1980. Pete Seeger est le père de la musique folk. Il faisait un concert au milieu de la journée. Il était 14 heures environ. Harry Paine est venu me voir et m’a dit : “Quoiqu’il arrive, on ira voir Pete Seeger”. Alors on s’est assis derrière la scène pour le voir. Tout d’un coup le ciel s’est couvert et il a commencé à pleuvoir. Personne n’a bougé. Tout le monde a commencé à partager des ponchos et toutes sortes de vêtements pour se couvrir. Et on est resté assis voir Pete Seeger sur scène. Et c’était incroyable. »
« Ce festival a été une partie de moi chaque année depuis 40 ans. J’avais l’habitude que le Folk Fest soit mon point de départ de l’été. Vous savez, vous planifiez quelque chose toute l’année et quand vous voyez enfin le projet fleurir, c’est tellement beau à voir. »