Orville Becking a passé 34 ans dans les mines de Snow Lake. Il a perdu des camarades sous des éboulements, et lui-même de justesse évité le pire. Il se souvient aussi des fois où la compagnie minière a utilisé ses hydravions pour évacuer sa fille, atteinte d’asthme chronique, à l’hôpital de Flin Flon. Pour le meilleur ou pour le pire, Snow Lake était une communauté vibrante, bâtie autour de l’industrie minière.
Par Gavin BOUTROY
Dans la communauté d’agriculteurs de Runnymede en Saskatchewan où a été élevé Orville Becking, on travaille la terre en surface. Né en 1948, le futur mineur a fait son premier forage dans l’industrie souterraine vers ses 18 ans.
Il faisait des forages d’essai pour une compagnie en Saskatchewan, cherchant du pétrole, de la potasse, ou encore de l’eau.
« Mais j’en avais marre de travailler dehors. Il faisait -40 degrés Celsius l’hiver. Donc à mes 21 ans, je suis parti à Snow Lake. J’ai commencé dans la mine le 24 septembre 1969. Dans la mine, il ne fallait plus se soucier du froid, on travaillait à mains nues en plein hiver. »
« Lors de mon premier jour dans la mine, je suis descendu avec un superviseur, qui était assez malentendant. À un des niveaux où l’on s’est arrêtés, j’ai entendu un sifflement. Le superviseur n’y a pas prêté attention et a continué à m’expliquer le fonctionnement de la mine. Et puis, une formidable déflagration m’a presque envoyé par terre. Le superviseur m’a dit, excusez-moi, j’aurais dû vous dire que qu’ils dynamitaient. Belle initiation au monde de la mine. »
L’ancien mineur esquisse un sourire.
« Il y avait une véritable camaraderie entre mineurs. Quand j’ai commencé, dit-il, de l’autre côté de la colline, il y avait un grand dortoir. On n’était que des mineurs à rester là-dedans. Je ne saurai même pas vous dire combien on était. Beaucoup. On payait 6,50$ par mois de loyer. Nos repas coûtaient un bon 0,70 $. Je ne vous raconte pas ce qui se passait là-dedans. »
« Disons que dans mon temps libre, je pêchais et je buvais de la bière. Ces deux activités n’étaient pas exclusives. »
Jadis, Snow Lake avait plusieurs bars, un magasin de la compagnie de la Baie d’Hudson, trois épiciers et même un magasin de chaussures. Maintenant, il y a un terrain vague à la place de l’ancien magasin de la compagnie de la Baie d’Hudson. Mis à part les deux hôtels, il n’y a qu’à la branche de la Légion Royale canadienne que l’on peut aujourd’hui prendre un verre.
Orville Becking pense que les changements apportés aux horaires de travail des mineurs sont à l’origine d’une vie de communauté moins vibrante.
« Comme le travail dans la mine demandait de grands efforts physiques, on faisait des journées de huit heures, cinq jours par semaine. Pas moyen de faire les journées de 12 heures que font aujourd’hui les mineurs. Maintenant, comme tout est automatisé, il font quatre journées de 12 heures, et ensuite ont droit à quatre journées de repos. »
« Nous, comme on n’avait droit qu’à deux jours de repos le week-end, on restait souvent à Snow Lake. Et la semaine, après le travail, on avait le temps de faire du sport, de faire ses courses, d’aller au bar… Les mineurs aujourd’hui prennent leurs quatre jours pour aller à Winnipeg ou Thompson. »
Les deux visages de Hudson Bay Mining and Smelting
Orville Becking s’est marié en Saskatchewan. Lui et sa femme ont déménagé à Snow Lake après le mariage et ont acheté une maison.
« C’était grâce à un bon programme de la compagnie. Ils avaient fait construire des maisons qu’ils vendaient ensuite aux employés. On avait 15 ans pour payer la maison, sans intérêts. On payait 72 $ par mois pour la maison pendant les cinq premières années, et pour les 10 années suivantes c’était 67 $ par mois. L’eau et l’électricité étaient aussi fournies par la compagnie. On payait 20 $ par mois, chauffage compris. »
Le mineur et sa femme ont eu trois filles.
« Une de nos filles souffrait d’asthme chronique. Comme la compagnie disposait d’hydravions, ils l’ont plusieurs fois évacuée d’urgence à l’hôpital de Flin Flon, ou de The Pas. Ça lui a probablement sauvé la vie.
« Un jour, j’ai été aux bureaux de la compagnie. J’ai dit au patron : Ça fait plusieurs fois que vous avez amené ma fille à l’hôpital. Combien je vous dois ? Il m’a répondu : Vous nous devez absolument rien. Continuez tout simplement à travailler. J’en étais très touché.»
Un traitement bienveillant qui contraste avec les « habitudes » de management d’Anglo American, la compagnie minière sud-africaine qui avait pris le contrôle de Hudson Bay Mining and Smelting en 1962.
À ce titre, le rapport final de la Commission Vérité et Réconciliation d’Afrique du Sud qui a été présenté au président Nelson Mandela en octobre 1998, identifie Anglo American comme étant l’une des compagnies qui ont profité du système de l’apartheid.
L’avocat Edward Fagan, qui a fait sa renommée en remportant la cause de victimes de l’holocauste contre des banques suisses, était l’un des représentants des victimes de l’apartheid lors de l’enclenchement de procédures légales contre Anglo American en 2003. À cette occasion, il a déclaré : « Si tu étais blanc et que tu travaillais dans les mines d’Anglo American, tu te faisais payer un bon salaire, et tu survivais. Si tu étais noir, ce n’était pas le cas. »
« On ne voit plus ce genre
de carnage »
Orville Becking, Mineur
Orville Becking a vu l’évolution de l’industrie minière tant au niveau de la sécurité qu’au niveau technologique.
« Entre Flin Flon et Snow Lake, on voyait au moins un mort par an dans les mines. De nos jours, on ne voit plus ce genre de carnage. »
En regardant un mur de photos de mineurs dans le musée des mines de Snow Lake, Orville Becking s’émeut en pointant d’un doigt crochu feu ses camarades.
« J’ai été mineur pendant sept ans, et puis j’ai passé 27 ans comme superviseur dans la mine. J’étais aussi superviseur des opérations de sauvetage. J’ai moi-même toujours évité les accidents graves, quoique parfois de justesse.
« Une fois, on était une dizaine de mineurs dans une galerie. L’un d’entre nous a essayé de déloger une pierre de la taille d’un ballon de football américain pour échantillonner le minerai. Tout d’un coup, 200 tonnes de pierres se sont détachées du plafond de la galerie. Je ne sais toujours pas comment on en est sorti indemne. »
Comme beaucoup de mineurs, Orville Becking est dur d’oreille du côté droit. C’est de ce côté qu’il tenait l’énorme marteau-piqueur qui servait à déloger le minerai. Il tient à souligner que l’adoption du marteau-piqueur dans la mine était le bienvenu. Lors de ses débuts, le minerai était délogé à l’aide d’un pic et d’une masse.
Mais avec la mécanisation est venue une réduction des effectifs.
« Le nombre de mineurs dans une mine a chuté. Par exemple, où l’on avait des wagons de 20-25 tonnes, avec environ un mineur par wagon, il y a maintenant des camions diesel de 50 tonnes, avec un seul mineur par camion.
« Je me souviens en 1971, un type est apparu dans la mine et il disait à tout le monde que l’avenir c’était les camions diesel, avec des pneus en caoutchouc. Plus besoin de rails. On s’est moqué de lui, mais au final, il a eu raison. »