Le mouvement gay et lesbienne s’épanouit avec l’inclusion d’une variété croissante d’identités sexuelles et de genres. Mais un problème vital demeure : la sécurité au quotidien. La lutte pour des espaces neutres où se réfugier est menée dans les espaces publics mais aussi dans les lieux de travail. Les excuses du premier ministre attendues le 28 novembre apporteront du renfort.
Par Jean-Pierre DUBÉ (Francopresse) et Jean-Marc DOIRON (Acadie Nouvelle)
En 2013, un sondage effectué à l’Université de Saint-Boniface avait conclu qu’il n’y avait pas d’homophobie sur le campus. Mais l’École de travail social n’était pas convaincue. Des pancartes dénonçant le harcèlement ont été affichées, puis déchirées par des passants, lançant un débat public.
C’est ainsi qu’est née l’Alliance allosexuelle-hétérosexuelle de l’USB, un club social voué à l’amélioration des conditions de vie des étudiants LGBTQ2+. « Notre but est de faire de la sensibilisation et d’offrir des ressources », explique le président Charlie Dilk.
Le 20 novembre, le groupe a présenté un film de 45 minutes intitulé Transgender Parents, du cinéaste Rémy Huberdeau, lui-même transgenre, et un panel réunissant entre autres l’artiste et son père.
La transition et le système de santé
« Le film montre comment les parents se sentent quand ils doivent aller avec leur enfant dans un système de santé qui n’est pas prêt pour les transgenres, précise Charlie Dilk. Ça donne une perspective sur ce qu’est la communauté transgenre et comment l’intégration est importante. Il faut être très ouverts et leur demander quel est leur prénom et les respecter. »
Le président se réjouit des excuses fédérales qui seront faites aux citoyens ayant vécu la prison, la perte d’emploi et l’agression au sein des forces armées, des corps de police et de la fonction publique. « Ça n’enlève pas le mal qui a été fait, mais c’est un pas dans la bonne direction. » Les forces de sécurité ont jusqu’en 1992 interdit les gays et lesbiennes, même si l’homosexualité est décriminalisée au pays depuis 1969.
Une ex-membre de la Marine royale canadienne, Diane Doiron, a raconté son histoire à Acadie Nouvelle. Un matin, alors que l’Acadienne de Pointe-Sapin (Nouveau-Brunswick) terminait un quart de nuit à la base de la Nouvelle-Écosse, on lui a demandé de se rendre dans les bureaux de la police militaire.
L’enfer dans la Marine royale
« Ils m’ont assis à une petite table avec deux hommes l’autre côté. Ils regardaient leurs papiers et ils parlaient entre eux. Ils m’ont demandé : “ Sais-tu ce qu’est un homosexuel?”, et j’ai répondu oui. Ensuite ils m’ont demandé si j’étais lesbienne, et j’ai répondu non.
« Après, ils m’ont demandé pourquoi je faisais beaucoup de sports, pourquoi je me tenais surtout avec des filles, et pourquoi je n’avais pas d’ami de cœur. Puis, le ton a monté. Ils disaient qu’on m’avait vue aller dans ma chambre avec une femme. Ils disaient que j’avais été vue dans un bar gai. Ils poussaient et ils poussaient. »
Les 18 mois suivants, elle dit avoir traversé l’enfer, confrontée à répétition par l’unité des enquêtes spéciales. « Il y avait une peur que tu ne peux pas imaginer. J’étais traitée comme un criminel, comme un espion. Je me sentais comme une déviante sexuelle. Là, tu retournes dans ton coin et tu penses : Il n’y a vraiment personne qui peut m’aider. Tu te sens comme un prisonnier de guerre. Ils peuvent te faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent. » Diane Doiron a récemment accepté de se rendre à Ottawa, aux frais de l’État, pour recevoir en personne les excuses formelles du premier ministre.
Les syndicats montent aux barricades
Au Syndicat canadien de la fonction publique, le secrétaire-trésorier Charles Fleury résume la situation : « C’est un pas dans la bonne direction mais ça va aussi prendre des compensations. Ça ne change pas les problématiques que ces communautés vivent tous les jours. »
Le véritable chantier, explique-t-il, est l’adoption de mesures pour assurer l’égalité et la sécurité des LGBTQ2+. Le SCFP a développé des modèles de textes pour encadrer les 3946 conventions qu’il gèrepour le compte de ses 650 000 membres au sein d’institutions publiques. La prochaine étape pour le plus important syndicat au pays concerne les mécanismes de traitement des plaintes, selon Charles Fleury. « Il faut qu’il y ait une façon de régler les griefs rapidement. »
Au niveau postsecondaire, les revendications portent maintenant sur des politiques plus inclusives pour mettre fin au harcèlement, note Charlie Dilk. « On cherche à obtenir plus d’espaces neutres et sécuritaires pour que les gens ne soient pas attaqués et se sentent libres d’être qui ils sont. »