Mgr Albert LeGatt souhaite formellement demander pardon aux Autochtones blessés par l’expérience des écoles résidentielles, au nom de l’Archidiocèse de Saint-Boniface. Mais avant de poser son geste, il croit qu’il reste beaucoup de travail à faire.
Par Daniel BAHUAUD
Formellement demander pardon aux Autochtones de l’Archidiocèse de Saint- Boniface, vous l’envisagez bientôt?
Mgr Albert LeGatt : À ce point-ci, je ne saurais dire quand. L’archidiocèse n’a jamais posé pareil geste. Je souhaite aller dans cette direction, au bon moment. Mais on n’est pas encore rendu là. On ne demande pas pardon sans s’être mis sur le chemin difficile de la reprise de l’amitié, de la confiance et de l’amour. C’est vrai entre amis, dans la vie des couples et dans l’Église.
Dans une relation qui a de l’intégrité, celui qui a offensé doit demander pardon souvent. Autant de fois qu’il est nécessaire pour guérir la relation et faire avancer la réconciliation. Les Pères oblats, les Soeurs grises, quelques diocèses ont déjà formellement demandé pardon. Au bout d’un long processus.
Que vous n’avez pas encore complètement mené…
Mgr A. L. : Oui. Comprenez que j’ai souvent demandé pardon aux Autochtones qui sont devenus mes amis. Et depuis mon installation en 2010, je visite chaque année les huit communautés catholiques autochtones du diocèse. (1)
Les raisons sont multiples. J’offre le sacrement de la confirmation, je vais pour célébrer certains anniversaires ou encore tout simplement pour rendre visite. Je rencontre aussi le conseil de représentants des communautés – une bonne trentaine de laïcs. On forme des cercles d’écoute, à la manière autochtone. Et j’écoute.
Et que vous disent ces Autochtones catholiques?
Mgr A. L. : On m’a demandé une plus grande présence de l’Église. L’archidiocèse a donc vu à leur fournir plus de prêtres. Ils sont quatre, appuyés par deux religieuses qui font la navette entre les communautés. Elle visitent les malades, les aînés, font de l’enseignement religieux et aident les prêtres à offrir des services pastoraux. Entre-temps, on a aussi augmenté l’aide financière. Et on accompagne le leadership local à se développer davantage, dans le but que les communautés puissent se prendre en main.
Le tout dans le respect de la culture autochtone?
MgrA. L. : De plus en plus, on s’assure que l’élément catholique et l’élément autochtone forment un mariage respectueux. Dans les rites, dans la langue. À la paroisse de Saint-Alexandre, à Fort Alexandre Sagkeeng, des chants spirituels ojibwés sont chantés à la messe. Les aînés les ont appris aux plus jeunes, c’est-à-dire au moins de 50 ans qui ne connaissaient plus la langue.
À cause des écoles résidentielles…
MgrA. L. : L’école résidentielle est l’exemple le plus flagrant et le plus dommageable des erreurs qui ont été commises dès le contact entre les Européens et les Autochtones. D’où l’importance de continuer de se parler. Pour aller de l’avant. Et pour arrêter de juger l’autre, ou encore de se voir comme victimes. Et tout au long de ce processus, je demande pardon et j’espère qu’on avance. C’est aux Autochtones de dire s’ils croient qu’on avance.
Et alors seulement vous demanderez pardon…
Mgr A. L. : Oui. Un évêque peut dire quelque chose, mais sans l’engagement de fidèles, sans qu’il y ait eu de vrais progrès, ce ne sont que des paroles. Il faut continuer nos efforts. Non pas à cause d’un jugement de la Cour, ou à cause de l’argent que nous avons payé aux Autochtones, ou que certains craignent qu’il faudrait encore payer, mais comme Église qui a les autres à coeur. Avant de poser de grands gestes, il faut se réconcilier.
Et le pape François alors…
MgrA. L. : Il ne faut pas voir le refus du pape de poser un geste en 2018 comme un refus de la nécessité de formellement demander pardon. Est-ce qu’un jour le pape viendra au Canada et demandera pardon aux Autochtones? C’est une certitude. Qu’il vienne dans deux ans, cinq ans, dix ans; que ce soit François ou son successeur, ce jour viendra. Et l’impact du geste sera fort. Tout comme la demande formelle de pardon aux Autochtones du Premier ministre Harper en 2008.
La vraie question ne se pose pas au niveau du pape, mais des évêques canadiens. Et encore davantage avec les fidèles. C’est l’Évangile qui doit nous mener. Plus que les 94 appels à l’action de la Commission de Vérité et de Réconciliation. Plus que le gouvernement ou encore les médias. Pour l’Église, la question tourne et tournera toujours autour de l’Évangile, qui a une force morale et spirituelle plus puissante que n’importe quelle action politique.
(1) Les communautés autochtones de l’Archidiocèse de Saint-Boniface sont : Berens River – Our Lady of the Snow; Bloodvein – St. Margaret; Fort Alexandre Sagkeeng – St. Alexandre; Hollow Water – Sacred Heart of Jesus; Little Grand Rapids – St. John the Evangelist; Manigotagan – St. Louis King of France ; Pauingassi First Nation; Poplar River – St. John Bosco.