Le journal montréalais La Presse a annoncé le 8 mai 2018 qu’il ne fera plus partiedu groupe Power Corporation et qu’il deviendra un organisme sans but lucratif (OSBL). La Liberté s’est intéressée aux implications de cette transition et a posé des questions sur les enjeux de ce changement à Colette Brin, professeure titulaire et directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval.
Propos recueillis par Catherine DULUDE
LL : Quelles sont les conséquences pour un journal qui devient un OSBL?
C.B. : D’abord pour les donateurs, ce n’est pas encore une garantie qu’ils pourront avoir des reçus d’impôts. Car la presse et le journalisme ne font pas partie des activités de bienfaisance reconnues par l’Agence du revenu du Canada. Par ailleurs, le journal devra être transparent envers les donateurs qui voudront savoir quelle proportion de leur don va au journalisme lui-même, la pension des travailleurs, etc.
LL : Voyez-vous des similitudes entre La Liberté et La Presse ?
C.B. : On ne peut pas les comparer en terme de structure. Mais un peu comme les recommandations du comité de refonte de la SFM a suggéré fortement que la SFM ne fasse plus partie de la structure de La Liberté, à La Presse on retire l’influence d’un millionnaire qui finance le journal. Comme il s’agit d’une entreprise privée, on n’a pas d’informations sur les états financiers. Mais Power Corp. soutient que la plateforme La Presse + n’est pas profitable à cause des géants du web Google et Facebook qui accaparent l’essentiel du marché publicitaire.
LL : Le dernier budget fédéral a envoyé le signal qu’Ottawa ne soutiendrait plus les « vieux » modèles d’affaires des médias. Qu’est-ce qu’on peut conclure de « l’échec » de La Presse, devenu un journal exclusivement numérique?
C.B. : Certains disent que c’est parce que l’entreprise était trop grosse, trop lourde à porter. La plupart des entreprises de presse ont réduit leurs salles de nouvelles, mais pas La Presse. Au contraire, avec cette plateforme, le journal avait augmenté le nombre d’employés pour inclure, par exemple, des développeurs.
LL : La Presse reconnaît que les contributions du public fourniraient un complément à leur financement global. Quelles sont d’autres sources possibles?
C.B. : Pour l’instant, le journal parle de dons corporatifs et d’un financement de provenance fédérale. Il y a plusieurs problèmes avec ces formes de financement. D’abord avec le corporatif, il faut s’assurer de l’indépendance journalistique, s’assurer qu’il n’y a pas d’ingérence. Pour la question des fonds fédéraux, la ministre du Patrimoine Mélanie Joly voulait éviter que le gouvernement fasse affaires avec les médias, et les finance seulement au cas par cas. J’estime cette approche inadmissible. Il faut trouver une manière de soutenir les organes de presse qui soit équitable et qui ne relève pas d’une intervention discrétionnaire d’un ministre.
LL : Vous avez sans doute réfléchi à diverses options…
C.B. : Il faudrait un organisme indépendant, financé par le gouvernement et par des dons, qui ensuite financerait les médias de manière neutre et juste. Un exemple aux États-Unis est l’organisme ProPublica, qui fait du journalisme d’enquête.
LL : À votre sens, le modèle de l’OSBL est-il souhaitable pour La Liberté?
C.B. : Il pourrait l’être. Mais encore une fois, de manière complémentaire. La communauté francophone est petite. Je ne pense donc pas que les dons puissent être récurrents. Et si l’on considère les dons corporatifs, il faut aussi penser à l’indépendance journalistique, surtout dans un marché de proximité.