Lorsque les frères et les sœurs deviennent aidants naturels, ils manquent généralement de soutien et de ressources adéquates, alors que les personnes ayant une déficience développementale vivent plus longtemps que jamais.

Par Helen RIES et  Becky ROSSI (texte d’opinion)

De meilleurs soins médicaux et une vie plus épanouissante ont entraîné un prolongement de l’espérance de vie des personnes souffrant d’une déficience développementale, ce qui est en soi une excellente nouvelle. Cependant, nombre d’entre elles survivent désormais à leurs parents qui ont pris soin d’elles durant toute leur vie.

Quand les parents ne sont plus en mesure d’offrir le même niveau de soutien ou de soins, le rôle d’aidant naturel est généralement transféré à un frère ou à une sœur de la personne ayant une déficience développementale. La plupart du temps, lorsque cette situation survient, le frère ou la sœur qui prend le relais accomplit la transition seul, sans soutien ni ressources adéquates, ce qui peut entraîner un stress considérable.

Ce sont les frères et les sœurs d’une personne avec une déficience développementale qui entretiennent avec celle-ci la relation la plus ancienne et qui sont le plus susceptibles d’être présents à ses côtés de façon constante tout au long de sa vie. Pourtant, nous disposons de peu d’information sur les besoins des frères et des sœurs, sur les défis qu’ils doivent relever et sur les expériences qu’ils vivent durant la vie de la personne ayant une déficience développementale.

Dans le cadre de notre travail au sein de Sibling Collaborative, un groupe ayant pour mission de créer des liens entre les frères et sœurs de personnes ayant une déficience développementale et de renforcer les familles, nous avons récemment entrepris de réaliser un sondage, le premier du genre au Canada, auprès des adultes dont un frère ou une sœur souffre d’une déficience développementale. En seulement quelques semaines, nous avons obtenu plus de 360 réponses de partout au pays. Le rapport que nous avons ensuite publié formule des recommandations à l’intention du secteur des services aux personnes atteintes d’un handicap de développement, des gouvernements et même des familles, afin de les aider à mieux comprendre l’expérience que vivent les frères et les sœurs qui assument le rôle d’aidant naturel.

Sans surprise, les résultats du sondage illustrent que, en très grande majorité, les frères et les sœurs prévoient que le niveau de soutien qu’ils fournissent actuellement à la personne ayant une déficience développementale s’accroîtra au fil du temps. Beaucoup évoquent le vieillissement et ultimement le décès des parents comme principales raisons de cette augmentation. Une des personnes ayant répondu au sondage a offert le témoignage suivant : [traduction] « Mes parents sont toujours en vie, mais ont 90 et 93 [ans]. Maman a toujours la charge, mais elle n’est plus en mesure d’assumer de lourdes responsabilités. »

Le fait que 45 % des adultes ayant une déficience développementale en Ontario font également l’objet d’un diagnostic de trouble psychiatrique n’est pas sans conséquence sur les frères et les sœurs. Parmi les réponses des participants au sondage, la santé mentale est clairement apparue comme l’un des principaux défis à relever dans l’exécution du rôle d’aidant naturel. Cependant, cette difficulté ne concerne pas que la santé mentale du frère ou de la sœur ayant une déficience développementale, mais également celle des parents.

La question de leur propre besoin d’un soutien émotionnel occupait un rang inférieur dans la liste.

Une des principales recommandations qui se sont dégagées de notre étude est que les secteurs de la santé mentale et des services aux personnes atteintes d’un handicap de développement, de concert avec les services sociaux et de santé financés par l’État, doivent inclure dans leurs services du soutien en santé mentale destiné expressément aux personnes ayant une déficience développementale et aux membres de leurs familles. Qui plus est, nous proposons que du soutien en santé mentale fasse partie de l’ensemble des services offerts à une personne ayant une déficience développementale dès son jeune âge, et tout au long de sa vie.

Ce soutien doit également être disponible pour les frères et les sœurs afin d’assurer le maintien à long terme de leur résilience, de leur compassion et de leur bien-être.

Le sondage demandait aussi aux frères et aux sœurs ce dont ils estiment avoir besoin pour soutenir leur frère ou leur sœur ayant une déficience développementale. Les sujets les plus souvent mentionnés concernaient les options en matière d’hébergement, le financement gouvernemental, les finances personnelles ainsi que la recherche et la gestion de services de soutien rémunérés.

Les frères et les sœurs ont déploré la longueur des délais des listes d’attente pour l’obtention d’un hébergement et les lourdeurs administratives des programmes gouvernementaux destinés à offrir du soutien. Le financement et les finances sont ressortis comme étant une source importante d’inquiétude pour les répondants qui prévoient devoir un jour prendre en charge ces responsabilités, lesquelles s’ajouteront possiblement à leurs propres obligations financières.

Les personnes qui dépendent des programmes de soutien aux handicapés dans l’ensemble du pays sont contraintes de vivre dans la pauvreté. Pour renverser cette situation, notre rapport recommande l’adoption d’une méthode de financement exhaustive et nationale destinée à faire en sorte que les membres de la population canadienne avec un handicap bénéficient de protections financières les préservant du risque de sombrer dans la pauvreté, comme un revenu de base annuel garanti pour les Canadiens souffrant d’un handicap.

Les autres recommandations du rapport comprennent un crédit d’impôt remboursable pour personnes handicapées et des améliorations au régime enregistré d’épargne-invalidité (REEI).

Bien que les frères et les sœurs d’une personne ayant une déficience développementale n’aient pas tendance à établir des liens avec d’autres personnes dans la même situation jusqu’à tard dans l’âge adulte (lorsque cela se produit), notre sondage révèle que la plupart sont à la recherche de moyens de communiquer avec les uns avec les autres, d’échanger à propos de leurs expériences et d’accéder à des ressources utiles.

Intitulée Comprendre l’expérience vécue par les frères et les sœurs (en anglais), notre étude démontre que si nous souhaitons veiller au bien-être à long terme des personnes ayant une déficience développementale, nous devons porter attention à leurs frères et à leurs sœurs, les soutenir, investir en eux et les inclure dans la planification et la prestation des services sociaux et de santé financés par l’État. Autrement dit, les services de soutien aux personnes avec un handicap, c’est une « affaire de famille ».

 

Helen Ries est conseillère experte auprès d’EvidenceNetwork.ca et une défenseure de la cause des personnes ayant une déficience développementale. Elle est cofondatrice de Sibling Collaborative, un nouveau regroupement de personnes adultes ayant un frère ou une sœur avec une déficience développementale visant à permettre la création de liens et le renforcement des familles.

 Becky Rossi, également cofondatrice de Sibling Collaborative, est conseillère stratégique auprès de Partners for Planning et une conseillère indépendante déterminée à créer des changements sociaux positifs.