Vivre dans un nuage de fumée, renifler une odeur de bois brûlé, guetter le soleil caché par un voile gris suffocant. Voilà à quoi a ressemblé le quotidien de nombreux Canadiens cet été. Pour les moins chanceux, il aura aussi été question d’évacuation et de problèmes de santé liés à la mauvaise qualité de l’air. Une situation qui devrait se répéter dans les années à venir.
Par Lucas PILLERI (Francopresse)
Alors que des milliers de pompiers bravent encore les flammes en Colombie-Britannique, l’été 2018 est d’ores et déjà considéré comme l’un des plus dévastateurs. Au total, plus de 6000 feux ont été déclarés sur le territoire, brûlant plus de 1 800 000 hectares.
C’est la Colombie-Britannique qui a été, et reste, la plus durement touchée. Depuis avril dernier, les feux ont brûlé un peu moins d’un million d’hectares, un record depuis que la province a commencé à recueillir des données en 1950. Seule l’année 2017 avait fait pire avec 1 200 000 hectares détruits.
La région centrale du nord de la province est la plus affectée. Au total, plus de 4000 personnes ont été évacuées, tandis que 20 000 résidents demeurent sous alerte d’évacuation. Quelques dizaines de bâtiments ont été avalés par les flammes et plus de 4400 pompiers sont encore mobilisés.Cette année, le BC Wildfire Service a dépensé plus de 300 millions de dollars dans son combat contre les feux.
L’Ontario est aussi une victime des incendies cette année. Près de 250 000 hectares sont partis en fumée, résultat de quelque 1200 incendies, surpassant ainsi de loin la moyenne des dix dernières années établie à 657 feux pour 100 000 hectares brûlés. Les autorités avaient même dû appeler en renfort des pompiers d’autres provinces, des États-Unis et même du Mexique, depuis rentrés chez eux. Le feu Parry Sound 33, le plus dangereux, avait forcé plusieurs centaines de personnes à évacuer avant d’être maîtrisé la semaine dernière après plus d’un mois de lutte.
Au Yukon, une soixantaine de feux de forêt ont été déclarés depuis le début de l’été, dont la moitié encore actifs, brûlant 70 000 hectares sur leur passage. L’été yukonais aura connu des températures plus élevées qu’à l’accoutumée, enregistrant notamment le cinquième mois de juillet le plus chaud depuis 1942.
Quant au Manitoba, c’est la province la plus affectée des Prairies, surtout dans le sud, perdant 210 000 hectares de forêt.
Le pire derrière nous?
« Le risque reste modéré à élevé », prévient Jonathan Scott, chef des pompiers de la région Nord-Ouest de l’Ontario. Si le pire est passé, il ne faut pas oublier que la saison des feux s’arrête officiellement le 31 octobre, « et pourrait même s’étendre au-delà », avise le responsable. Une trentaine de feux sont d’ailleurs encore actifs en Ontario, mais sous contrôle.
En Colombie-Britannique, la situation reste critique avec plus de 500 feux encore actifs, dont une cinquantaine qualifiés de menaçants. Mais l’espoir revient avec le retour de la pluie, même s’il faudra des quantités considérables pour en voir les effets. En Alberta, plus qu’une vingtaine de feux sont actifs.
Si l’est du pays a été relativement épargné, les pompiers ont malgré tout été mobilisés pour prêter main-forte en Colombie-Britannique et en Ontario par le biais du Centre interservices des feux de forêt du Canada.
Une nouvelle réalité à laquelle il faut s’habituer
Selon Natalie Hasell, météorologue de sensibilisation aux alertes pour Environnement et changement climatique Canada, basée à Winnipeg, les conditions très sèches de ces trois dernières saisons ont été propices aux incendies, en particulier dans le sud des Prairies et le centre-nord de la Colombie-Britannique.
Francopresse_0827 Bilan des feux Précipitations d’avril à août 2018 – La sécheresse a frappé
Les orages ont été la bête noire des pompiers tout l’été, embrasant des forêts desséchées. Un grand nombre des feux ont ainsi été causés par des éclairs, même si une quantité non négligeable reste le résultat de l’activité humaine.
Pour Éric Lavigne, épidémiologiste à Santé Canada, le réchauffement climatique est à blâmer. « On voit que les étés deviennent de plus en plus chauds, il y a plus de sécheresse, moins de précipitations, ce qui augmente la vulnérabilité des forêts. Les feux sont plus intenses, plus fréquents et ils durent plus longtemps ». D’après le spécialiste, les prochaines années risquent d’être similaires.
Beaucoup de la fumée visible dans le pays est attribuable aux feux de la Colombie-Britannique. Ils sont allés jusqu’à enfumer la côte Atlantique de la France, portés par les courants-jets sur plus de 8000 km. La direction des vents est cruciale, faisant des heureux et des moins chanceux. Plusieurs bulletins météorologiques spéciaux ont été émis ce mois d’août pour la qualité de l’air dans les Prairies, et sont maintenus dans le sud de l’Alberta et de la Saskatchewan. « La situation peut facilement changer en 24 heures étant donné que les dépressions et les anticyclones se déplacent », indique Natalie Hasell.
Irritation des yeux, du nez et de la gorge, souffle court, sifflement dans la respiration : tels sont les symptômes associés à l’inhalation de la fumée des feux de forêt. Vancouver et Edmonton ont compté au cours de l’été parmi les villes à l’air le plus mauvais au monde. « La fumée des feux de forêt est composée de particules fines, d’une taille de 2,5 microns. Ce sont les plus nocives », informe la météorologue.
Celles-ci peuvent s’avancer plus profondément dans l’appareil et les parois respiratoires et causer des problèmes de santé éphémères ou plus sérieux pour les gens avec des conditions cardiovasculaires ou pulmonaires. « Les très jeunes et les très vieux sont particulièrement à risque, ainsi que les femmes enceintes et les gens exposés à la fumée de façon étendue, comme les travailleurs en extérieur, les gens qui font du sport dehors et les démunis », précise Natalie Hasell.
Face à cette pollution de l’air, il faut s’ajuster : réorganiser sa journée, éviter les activités sportives à l’extérieur, rester dans un endroit bien ventilé, voire porter un masque. « Les services publics et la population doivent s’adapter à cette nouvelle réalité », avise Éric Lavigne. On vérifiera aussi que les systèmes de climatisation comprennent bien un filtrage des particules fines.