Professeur de français à l’école Gray Academy, Scott Hartnell a parcouru beaucoup de kilomètres pour affirmer son attachement à la francophonie. Il rivalise d’ingéniosité pour sensibiliser les enfants au bilinguisme.

Mariam BA SOW

Scott Hartnell est un quinquagénaire enseignant à l’école juive Gray Academy de Winnipeg depuis douze ans. Il apprend le français aux jeunes enfants de la pré-maternelle à la troisième année depuis la rentrée 2018. Originaire du Manitoba, il a grandi à la campagne avant de suivre ses parents à Winnipeg à ses sept ans. L’anglais était sa langue maternelle, on ne parlait pas français à la maison. Durant sa jeunesse dans les années 1970, les écoles d’immersion en étaient à leurs balbutiements et ses cours de français en classe de secondaire ne le passionnaient pas tellement: «C’était les prémices de la politique de Trudeau, pour le bilinguisme et le multiculturalisme».

Le français a commencé à avoir de l’intérêt pour lui quand il l’a découvert par le biais de sa petite amie de l’époque, qu’il a accompagné en voyage dans plusieurs pays d’Europe, dont la France, quand il avait 23 ans. «À Saint-Malo, un Français n’a pas cessé de me parler, je ne sais pas pourquoi. Je ne comprenais rien, mais il continuait.» De retour à Winnipeg, il a déniché un livre de français et pris goût à la structure et la grammaire de la langue. Comme il ne savait pas quoi faire de sa vie hormis suivre son vieux rêve de devenir maître-nageur, avec sa petite amie québécoise en tête, il est allé s’installer à Montréal pour suivre des cours à l’Université Concordia. S’en est suivi une année à l’Université du Manitoba, puis au Collège de Saint-Boniface.

Amateur des mélodies de Renaud et Brassens, c’est maintenant en compagnie de sa femme Carole Jung que son penchant pour la culture française s’est développé: «Je me passionne pour l’histoire et la politique françaises en plus de la langue. Elle détient une sonorité particulière et une richesse de vocabulaire non comparable avec l’anglais.» Scott Hartnell et Carole Jung se sont rencontrés aux Conférences d’octobre, qui est un rassemblement pour les instituteurs au Manitoba. Carole Jung a grandi à Blainville, non loin de Montréal et est actuellement professeure en école d’immersion.

C’est en français que le couple s’adressent à leurs filles qui étudient toutes deux à l’Université de Saint-Boniface: «Nous regardons la télévision québécoise, écoutons Radio-Canada. Donc je suis habitué à l’accent du Québec. Malgré mes 20 ans de pratique, j’ai quelquefois du mal à saisir les nuances du français de France quand je regarde TV5. J’ai toujours cette crainte d’être incompétent face aux vrais Français. Ma première entrée dans la bibliothèque de Saint-Boniface ne s’est pas faite sans appréhensions.»

Pourtant, lors de sa lune de miel en 1993 à Biarritz, Scott Hartnell n’avait eu aucun mal à communiquer dans la langue de Molière avec les Basques. Après avoir de nouveau visité l’Europe trois fois en famille depuis, il souhaiterait réitérer l’expérience prochainement dans d’autres régions françaises. En Allemagne, il a travaillé près de la frontière française: «Ça m’a permis d’aiguiser mon appétit pour la culture francophone quand j’avais l’occasion de m’arrêter à Strasbourg ou Bruxelles.»

L’enseignant ne se reconnaît pas franchement parmi ses semblables au Manitoba: «Au fond, peu d’enseignants de français sont réellement francophones, ils se contentent pas mal du minimum. Parfois une simple recherche sur Google et hop! leur cours est déjà fait. On ne peut pas se réclamer francophone si on n’utilise pas réellement cette culture au quotidien, dans la vie professionnelle comme personnelle.» Être enseignant et francophone/francophile est un duo gagnant. À ses yeux, cette capacité d’ouverture vers une autre culture a modifié son point de vue sur la vie de façon positive.

Néanmoins, le francophile reconnaît volontiers qu’il n’est pas simple d’enseigner aux enfants ce langage qu’il trouve alambiqué, car la culture ambiante est très américano-américaine: «Certains élèves sont sensibles à l’apprentissage et d’autres ne s’y intéressent pas davantage tant qu’ils n’y sont pas obligés. À la Gray Academy, les enfants ont 120 minutes de français par cycle de six jours. Je mets en place différentes activités culturelles autour du français, j’apprends même des comptines avant de les enseigner à mes élèves. Je fais de mon mieux pour les sensibiliser à l’importance du bilinguisme pour leur culture générale et leur avenir professionnel.»

Quand on lui demande quels sont ses projets sur le moyen et le long terme, Scott Hartnell donne un concentré de sa vie: «En dehors de l’environnement scolaire, le sentiment d’appartenir à l’ensemble francophone manitobain se ressent beaucoup lors de participations aux manifestations culturelles, comme les concerts et les festivals. D’ailleurs, pour moi, entretenir cette curiosité est essentielle pour garder un bon niveau. Je projette de visiter à nouveau la France dès que j’en aurai l’occasion. Et puis aussi retrouver les piscines, pour préparer ma reconversion de maître-nageur quand l’heure de la retraite aura sonné !»