Appuyés par la classe politique nationale, les Franco-Ontariens se mobilisent pour lutter contre l’abolition inattendue le 15 novembre du Commissariat aux services en français et du projet d’Université franco-ontarienne à Toronto. Cette décision du premier ministre Doug Ford permettrait de réduire de 15 millions un déficit de 15 milliards. Ailleurs au pays, les francophones et Acadiens sont inquiets.
Jean-Pierre Dubé (Francopresse)
« Chaque fois qu’un membre de la francophonie est bafoué, ça ébranle tout le monde, soutient la présidente de la Société nationale de l’Acadie, Louise Imbeault. Même si on a des acquis sur le plan juridique, ce n’est pas nécessairement acquis dans la pensée des gens. C’est sûr qu’on est solidaires de l’action des Franco-Ontariens. »
Selon l’Acadienne, un front commun s’impose pour préserver les écoles, hôpitaux et autres établissements obtenus au pays par le biais des tribunaux. « Quand un premier ministre fait fi de sa population francophone qui est quand même nombreuse, c’est dangereux. D’autres vont penser qu’ils peuvent faire impunément la même chose. »
La crainte que Blaine Higgs imite Doug Ford
L’inquiétude est vive au Nouveau-Brunswick depuis la formation d’une coalition gouvernementale de droite échafaudée grâce à trois députés d’un parti populiste opposé au bilinguisme. L’éditorialiste François Gravel de l’Acadie Nouvelle a détaillé le 17 novembre pourquoi ses concitoyens doivent s’inquiéter de l’impact des coupures de Doug Ford.
« En 2015, le député de l’opposition Blaine Higgs avait suggéré de fusionner les régies de santé Vitalité (francophone) et Horizon (anglophone). Il est aujourd’hui premier ministre. » Il a nommé un ministre de l’Éducation, Dominic Cardy, un promoteur de la fusion du transport pour les élèves francophones et anglophones.
Deux autres nouveaux ministres avaient menacé en 2016, rappelle l’éditorial, l’un de congédier la commissaire aux langues officielles et l’autre d’abolir le Commissariat.
Dans les trois autres provinces de l’Atlantique, remarque Louise Imbeault, les organismes porte-parole sont en liaison continuelle avec leurs gouvernements et pour cause. « C’est déplorable que Doug Ford n’ait pas pris la peine de parler aux représentants francophones avant d’agir. »
Le président de l’Association canadienne-française de l’Alberta, Marc Arnal, s’alarme aussi, même si les relations avec les néo-démocrates au pouvoir sont favorables. « Le gouvernement a accepté notre drapeau comme un symbole provincial et désigné mars comme le mois de la francophonie. Il a créé un comité pour implanter la nouvelle politique de services en français. »
Les Franco-Albertains face à Jason Kenny en 2019
Ses craintes concernent les élections provinciales de 2109. « Il n’est pas certain que ce gouvernement va survivre. Ce qui nous attend, c’est (le chef conservateur) Jason Kenny, assez avare de paroles quand il est question du bilinguisme. Sa formation est ni plus ni moins l’ancien Parti réformiste. »
Marc Arnal est troublé par « la vague ultraconservatrice » qui a commencé aux États-Unis et qui se propage au Canada. « Il y a une espèce de stratégie orchestrée pour discriminer, pour diminuer les droits des francophones hors Québec et porter atteinte à la dualité linguistique.
« J’espère qu’en Ontario, on verra des manifestations dans les rues comme ce fut le cas avec l’Hôpital Montfort, parce que ça va prendre ça. »
Au Manitoba, l’administration de Brian Pallister a sabré en 2017 le poste de sous-ministre adjoint au Bureau de l’éducation française. Les organismes francophones ont créé une cellule de crise pour tenter de rétablir le statut du Bureau, désormais géré par une direction générale. L’approche de Doug Ford n’aurait toutefois aucun impact au Manitoba.
Pas d’anti-bilinguisme au Manitoba de Brian Pallister
« Il n’y a pas de courant anti-francophone chez les conservateurs, estime l’analyste politique et ancien haut fonctionnaire, Roger Turenne. Le gouvernement est bien disposé à l’égard des francophones. C’est un peu différent au Nouveau-Brunswick à cause du poids politique très fort de la minorité : un courant anti-bilinguisme a conduit à la création d’un nouveau parti. »
Mais l’impact politique des francophones au Manitoba et en Ontario serait à peu près nul. « Dans les deux cas, des conservateurs sont arrivés au pouvoir, confrontés à une situation budgétaire catastrophique. Leurs prédécesseurs néo-démocrates et libéraux avaient perdu le contrôle des finances publiques. Dans cette situation, les conservateurs ont tendance à regarder le bottom line. »
Roger Turenne décrit comment le gouvernement a procédé pour restructurer. Il souligne que l’équivalent manitobain de la ministre Caroline Mulroney en Ontario, Rochelle Squires, a piloté la Loi sur l’épanouissement de la francophonie manitobaine, adoptée à l’unanimité de la Chambre. « Ce qui est arrivé au Bureau, c’était du dommage collatéral.
« Pallister n’est pas aussi bête que Ford. Mais le côté culturel, ça ne leur a pas passé par l’esprit. Le Manitoba n’a pas un Trump Lite comme en Ontario. Pallister est un politicien têtu : plus tu l’attaques, plus il se campe. »
Selon l’analyste, la communauté francophone du Manitoba reçoit l’appui d’une large coalition non partisane pour défendre le rôle du Bureau. Il n’écarte pas la possibilité d’un renversement de cette décision, mais il désespère pour l’Ontario. « Doug Ford ne connait rien, c’est un idéologue et un incompétent qui prend des décisions irrationnelles. »
La stratégie juridique parait incontournable
L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario fourbit ses armes de contestation, mais n’a pas encore divulgué son plan pour renverser les coupures de Doug Ford.
Selon le politicologue François Charbonneau de l’Université d’Ottawa, les pressions politiques ne feront pas reculer le premier ministre. « Ford et son équipe ne connaissent rien là-dedans [les droits linguistiques] et ils font des coupes à la machette. Ces populistes ignorent l’histoire du Canada. »
La francophonie s’est construite, rappelle-t-il, sur « 30 ans de poursuites en justice et très peu de gains politiques. Peut-être que c’est juste ça qu’on peut faire. »
Doug Ford n’aurait pas compris, selon le professeur de l’École d’études politiques, la valeur du travail du commissaire aux services en français.
Le commissaire Boileau avait acheté la paix linguistique
« C’est quand même incroyable ce que François Boileau a acheté pour 3,0 millions par année depuis 11 ans : la paix linguistique! On n’a pas eu de chicanes et de contestations, la communauté a été mobilisée par à peu près rien. Le commissaire travaillait dans l’ombre et réglait les problèmes sans faire de vagues. À quel prix va-t-on payer la paix linguistique si on sabre là-dedans? »