Le Canada demeure incapable de s’affranchir des sondages dans sa lutte contre le changement climatique. Les citoyens sont divisés également pour et contre la taxe sur le carbone alors que l’approche fédérale est jugée insuffisante par la communauté scientifique. Ottawa est à la fois actionné par quatre gouvernements provinciaux et dénoncé à la Conférence sur le climat en Pologne.
Une analyse de Jean-Pierre Dubé (Francopresse)
La taxe sur le carbone établie selon les cibles nationales du gouvernement conservateur de Stephen Harper il y a dix ans sera contestée par les gouvernements conservateurs en Saskatchewan et au Manitoba et par l’opposition albertaine. Le début du procès en Cour d’appel de Regina est fixé au 13 février. Une autre action intentée par l’Ontarien Doug Ford sera entendue en avril.
À la COP24 [la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques] à Katowice, en Pologne, le Canada se trouve parmi les mauvais performants de l’action climatique, en 54e place sur 60 pays, derrière le Kazakhstan et la Russie. Selon le communiqué des ONG responsables du Climate Change Performance Index publié le 10 décembre, la Suède et le Maroc dominent le classement tandis que l’Arabie saoudite et les États-Unis occupent le fond du baril.
Le plan du gouvernement Trudeau ne permet pas d’atteindre la cible, explique le responsable de la compagne Climat-Énergie, de Greenpeace Canada, Patrick Bonin. « Il reste 66 millions de tonnes de gaz à effet de serre (GES) à identifier pour arriver à ce que monsieur Harper avait ciblé pour 2030. »
Des décisions incompatibles avec l’évidence scientifique
Le premier ministre fait partie du problème, souligne le porte-parole, en prenant des décisions énergétiques incompatibles avec la recherche sur le climat, comme « l’approbation et l’achat de pipelines à coups de milliards ».
L’approche des libéraux fédéraux s’inspire de la stratégie climatique de la Colombie-Britannique en place depuis près de dix ans. Le plan CleanBC, relancé le 5 décembre par le gouvernement néo-démocrate, met l’accent sur des crédits d’impôt pour réduire les émissions de GES et fonder une économie à faibles émissions de carbone.
« En passant à l’énergie propre et renouvelable, comme notre abondante réserve d’électricité, nous allons pouvoir alimenter notre économie florissante et rendre la vie plus abordable pour les Britanno-Colombiens », a précisé le premier ministre John Horgan, citant le principe du « double dividende » économique et sociale.
Patrick Bonin demeure catégorique. « On a encore des guerres de clocher entre les premiers ministres. Aucun à travers les provinces n’a de plan crédible. Les plus réticents retardent le tout. Ce n’est pas le genre de leadership dont on a besoin en pleine conférence des Nations-Unies sur le climat. »
« La contestation tient davantage d’une fronde politique »
Sans l’ajout de mesures additionnelles, le Canada ne pourra respecter ses engagements dans l’Accord de Paris, estime la politicologue Annie Chaloux, de l’Université de Sherbrooke. Elle craint qu’Ottawa ne recule devant les contestations, a-t-elle déclaré le 8 décembre au journal Le Devoir.
« On peut se demander si Justin Trudeau va tenter de ménager la chèvre et le chou en choisissant de réduire les ambitions sur la taxe de carbone. Il ne ferait que retarder la réduction d’émissions de GES. »
La professeure espère que le premier ministre résistera à la pression juridique. « Cette contestation tient davantage d’une fronde politique de gouvernements conservateurs que d’une volonté populaire de s’opposer à la mécanique de la taxe sur le carbone. Les citoyens sont de plus en plus conscientisés et comprennent de mieux en mieux les enjeux. »
Pour le porte-parole de Greenpeace, la COP24 du 2 au 14 décembre est un moment charnière pour l’engagement envers la planète. « Cette conférence est sans doute la plus importante depuis celle de 2015. Elle doit permettre de finaliser les règles de fonctionnement pour que l’Accord de Paris soit crédible du point de vue environnemental. »
« Deux ans pour mettre les pays sur la bonne voie »
Patrick Bonin cite le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) : l’intensité récente du changement génère un ajustement des prévisions bien au-dessus du maximum de 1,5 degré Celsius visé par la communauté internationale.
« On se dirige vers un réchauffement de 3 degrés. Il faut s’assurer d’une révision des cibles en 2020. Dès cette année, il faut que les pays reconnaissent la nécessité d’aller plus loin. Même le Canada a reconnu qu’il faut bonifier le plan d’action avec des cibles beaucoup plus ambitieuses. »
Selon les évaluations du GIEC citées par le militant, « il reste moins de deux ans pour mettre les pays sur la bonne voie. Les évènements extrêmes, feux de forêt, canicules et inondations devraient servir de catalyseurs pour sortir de l’inaction. Il faut faire des choix pour arriver à 100 % d’énergies renouvelables. On ne peut pas se permettre de l’incohérence dans les décisions. »
La Conférence doit surtout lancer un signal aux gouvernements quant au respect des évaluations scientifiques, dit-il. « Il y a déjà une réaction de la part des pays vulnérables, frappés directement par l’élévation des niveaux des océans, mais pas encore des pays développés. »
Patrick Bonin observe que la mobilisation mondiale continue à augmenter. « Les gens sont mobilisés comme jamais, par exemple au Québec. On n’a pas le choix que d’être optimiste. »
Selon le service aux médias de la COP24, quelque 32 900 participants de 196 pays sont inscrits à l’évènement, ainsi que 1735 journalistes.