Par Jennifer Maczuga
Le soleil de fin d’après-midi rayonne. La vieille Madame Gaudreau est accroupie dans le gazon et ramasse des pissenlits. Je la regarde, curieuse, assise sur les marches en béton devant la maison, pas loin d’où j’avais vu la couleuvre.
Tout à coup, je me lève et je m’approche d’elle. Je suis debout contre la clôture grillagée avec ma petite chaudière rose toute sale, les yeux fixés sur elle. La vieille est à peine à 15 pieds de moi. Elle est tellement effrayante, mais je n’en ai pas peur.
– Que fais-tu?
D’une voix basse et brusque, elle me répond :
– Je ramasse des pissenlits pour faire une soupe.
– Ah! Je vais t’aider!
De mon côté de la clôture, je ramasse des pissenlits avec elle en silence et je les mets dans mon sceau. Le gazon est tapissé de jaune. À peine deux minutes s’écoulent et j’entends la porte de la maison qui s’entrouvre.
– Jennifer! Viens ici! Parle pas à elle, c’est une sorcière!
La vieille a certainement entendu Maman. Elle a surement déjà entendu Maman et sa copine Diane la traiter de sorcière.
Je laisse tomber mon sceau à moitié rempli de pissenlits et je rentre à la maison à toute vitesse. La peur perce mon corps. Je frissonne de toute ma peau.
– Maman, Mme Gaudreau, est-elle vraiment une sorcière?
Maman est à la cuisine, debout au comptoir, et épluche des pommes de terre.
– Encore des patates pilées pour souper! me lamenté-je à voix basse.
Elle ne me répond pas, mais se met à fredonner une chanson que je ne reconnais pas. Je déteste lorsqu’elle m’ignore. Je déteste encore plus lorsqu’elle fredonne.
Il y a des boites empilées dans toutes les pièces de la maison. Des boites pleines de mes jouets, de vaisselle, de livres. Papa et Maman ont vendu la chienne dernièrement. Ils disent que nous partons pour l’Ouest. Maman pleure tout le temps. Soit qu’elle pleure, ou qu’elle fredonne.
Je vais dans ma chambre jouer avec mes poupées en attendant le souper. Je pense à Mme Gaudreau et je l’imagine dans sa cuisine sombre, remuant son chaudron de soupe aux pissenlits. Son mari est assis à la table et rédige un plan pour empoisonner les chiens des voisins. J’espère tant qu’il n’y a pas de sorcières dans l’Ouest.