De l’Atlantique au Pacifique, l’année 2019 s’annonce féconde pour la progression des droits linguistiques. Trois causes de la Colombie-Britannique pourraient aboutir devant la Cour suprême du Canada. Pendant que s’accélère à Ottawa le processus de réforme de la Loi sur les langues officielles, l’éducation demeure une préoccupation des minorités.
Jean-Pierre Dubé (Francopresse)
Les trois causes en Colombie-Britannique sont menées par le bureau du constitutionnaliste Mark Power. La première est la mégacause de 15 écoles françaises surpeuplées entamée en 2009 par le Conseil scolaire francophone et la Fédération des parents. En octobre dernier, ils ont demandé d’être entendus par la Cour suprême suivant l’échec de leur appel devant la plus haute cour de la Province.
« Il y aura une décision cet hiver ou au début du printemps, estime le plaideur d’Ottawa. Si la réponse est positive, ça voudrait dire une audience en 2019. » Les demandeurs s’indignent de la résistance provinciale à financer équitablement le réseau des écoles françaises selon des calculs budgétaires, sans égard à la jurisprudence.
La seconde cause est l’appel d’un jugement de la Cour fédérale en mai dernier exonérant Ottawa dans la fermeture de cinq centres à l’emploi dans la province.
Dans ce recours contre Emploi et Développement social Canada, la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) conteste une interprétation « indument restrictive » de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles (sur la prestation de services, la promotion des langues officielles et le rôle du commissaire fédéral) et contraire à « l’interprétation large et libérale » adoptée auparavant par la Cour suprême.
Le juge Gascon avait constaté une absence de règlementation susceptible de nuire à l’application de la Loi, notamment quant aux transferts de fonds fédéraux. La décision a mené le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, à se conformer au jugement en rejetant des plaintes du public.
Le développement le plus « intéressant et important » de l’année
Ce jugement aurait été un élément déclencheur de la décision du premier ministre Trudeau d’annoncer, le 6 juin aux Communes, l’intention du gouvernement de moderniser la législation. Le processus est enclenché depuis l’été : la ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, a reçu le mandat de procéder.
Déjà en 2017, le Comité sénatorial des langues officielles avait lancé une consultation nationale sur la modernisation de la Loi, pour répondre aux pressions des communautés francophones. Les sénateurs ont tenu des audiences pancanadiennes et lanceront leur rapport final en juin.
Cette réforme législative est de loin le développement le plus « intéressant et important » de l’année, selon Mark Power. « C’est la première fois depuis 1988 que le fédéral s’engage à revoir la Loi. L’Opposition officielle est d’accord et même le NPD. En 2019, les rapports du Sénat et des Communes sur la question seront publiés. »
Le constitutionnaliste s’attend à des progrès majeurs, même si la révision n’aura pas lieu avant le scrutin fédéral d’octobre. « Ça m’étonnerait que la loi soit modifiée cette année. Il n’y a pas assez de temps après les élections lorsqu’un nouveau gouvernement sera formé, qu’il soit libéral ou non. Mais on aura une bonne idée de ce qui sera voté en 2020. »
Dans ce contexte, la décision de la Cour fédérale d’appel pourrait avoir un impact sur le processus de modernisation. Si le tribunal confirmait le jugement Gascon, l’arrêt serait contesté en Cour suprême, assure l’avocat. Dans le cas contraire, le jugement s’inscrirait à la démarche de modernisation.
La Cour suprême entendra une 3e contestation provenant de la province pacifique. Les juges trancheront prochainement une cause entendue en novembre dans l’appel d’un Franco-Colombien débouté en première instance après avoir demandé un procès en français. Accusé de conduite illégale en 2014, Éric Bessette a perdu deux fois en appel.
« Les neuf juges semblaient préoccupés par la décision en appel, note Mark Power, et intéressés par les arguments de monsieur Bessette. Une victoire aurait des conséquences automatiquement, au minimum à Terre-Neuve et Labrador, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard », des provinces encore dépourvues de lois adéquates en matière de bilinguisme.
Une loi distincte pour le Conseil scolaire acadien provincial
Entretemps, informe Mark Power, la Nouvelle-Écosse se prépare à adopter une loi distincte pour protéger le Conseil scolaire acadien provincial. Ce développement fait suite à l’élimination des conseils scolaires anglophones en janvier 2018. Les écoles anglophones sont gérées par la Province, mais pas celles de la minorité. Ce modèle ressemble à celui adopté en 2016 à l’Île-du-Prince-Édouard.
« C’est un autre développement législatif à guetter de près, signale le constitutionnaliste. Si la Nouvelle-Écosse tient parole, les francophones auront une loi complètement distincte qui fait appel à la dualité linguistique. En matière d’éducation, la Nouvelle-Écosse aura un modèle aussi dualiste que celui du Nouveau-Brunswick. C’est quelque chose! »
Les Anglo-Québécois risquent aussi de perdre leurs conseils scolaires. Ils ont cependant les mêmes droits que les minorités francophones et un organisme conteste cette mesure.
Dans un communiqué de décembre, le Quebec Community Groups Network a fait référence à la jurisprudence établie par la Cour suprême : à l’Île-du-Prince-Édouard, l’affaire Arsenault-Cameron « a clairement indiqué que même si le ministre de l’Éducation est responsable de l’élaboration des politiques, son pouvoir discrétionnaire est assujetti à la Charte canadienne des droits et libertés qui protège les communautés linguistiques en situation minoritaire et confère à ses représentants le droit exclusif de gérer l’instruction et les établissements. »
Le ministre s’arroge des droits de gestion en santé
Au Nouveau-Brunswick, la santé est au cœur des contestations. Le gouvernement Higgs a récemment reculé sur sa décision d’éliminer le critère du bilinguisme au moment de l’embauche d’ambulanciers, mais il refuse de reconnaitre le plein droit de gestion de la communauté francophone.
L’organisme Égalité Santé en français, créé en 2008 pour veiller au respect des droits des francophones, a chargé le bureau Casa Saikaley (Ottawa) de mener un recours. La cause déposée en 2017, rappelle l’avocat Gabriel Poliquin, résulte d’une ingérence gouvernementale dénoncée dans l’Avis de poursuite : « Le ministre s’arroge des droits de gestion sur les institutions de santé de la Communauté linguistique française contraires aux droits à des institutions de santé distinctes. »
L’Avis mentionne que des éléments essentiels des services cliniques et non cliniques de santé en français ont été confiés à des institutions ou des sociétés privées anglophones échappant à la gouvernance effective des Acadiens.
Selon l’article 16 de la Charte canadienne, la minorité possède « le droit à des services de santé distincts et autonomes ». La cause va de l’avant, assure l’avocat : « Une motion sera déposée le 11 février en Cour du banc de la Reine de Moncton pour faire reconnaitre la qualité d’agir d’Égalité Santé. »
L’AFO continue sa réflexion sur les contestations
Les services de Casa Saikaley et Juristes Power ont été retenus pour conseiller l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario dans sa défense du Commissariat aux services en français et de l’Université de l’Ontario français, coupés dans l’énoncé économique du premier ministre Ford en novembre.
« On est encore en mode de réflexion, précise Gabriel Poliquin, il n’y a pas de décision [sur les prochaines étapes] en ce moment. »
Le Commissariat n’aura été intégré au bureau de l’ombudsman provincial qu’en avril. La loi fondant l’UOF n’a pas été abolie et l’établissement a reçu in extremis une aide de Patrimoine canadien lui permettant de poursuivre son développement jusqu’en 2020.