Le monde théâtral francophone n’est pas absent du débat entourant l’appropriation culturelle. En milieu minoritaire, la réflexion amorcée fait-elle davantage référence à un réflexe défensif ou à une attitude proactive?
André Magny (Francopresse)
Mais qu’est-ce au juste que l’appropriation culturelle dont tout le monde parle?
Depuis que le metteur en scène québécois Robert Lepage a subi les foudres des communautés noires et autochtones pour deux de ses spectacles, SLAV et Kanata, les directeurs artistiques franco-canadiens s’interrogent.
À l’Association des théâtres francophones du Canada (ATFC), la question de l’appropriation culturelle fait l’objet de discussions. Selon Mélanie Tremblay, la responsable des communications, « l’ATFC a organisé une discussion sur le sujet lors de nos stages en perfectionnement professionnel au Banff Centre en novembre dernier. Le rôle de l’ATFC est de donner des outils de réflexion sur ce type d’enjeu, mais il en revient aux compagnies de prendre la responsabilité de considérer le sujet ou non. »
Pour Joël Beddows, le directeur artistique du Théâtre français de Toronto, l’appropriation culturelle est avant tout une question d’éthique. « Il existe autour de nous des communautés fragilisées par des contextes historiques, par exemple. » Selon l’ancien directeur du Théâtre la Catapulte, ces collectivités demandent d’avoir un droit de regard sur ce qui est écrit sur eux. Il donne un exemple concret. S’il a besoin d’utiliser un masque autochtone de la région de Toronto pour l’une de ses pièces, il va demander la permission, « parce que je ne veux pas être un mauvais voisin ».
Par contre, pour le directeur artistique de Créations In Vivo d’Ottawa, Stéphane Guertin, « c’est un concept que je trouve un peu défensif. Parfois, c’est bien de vouloir protéger, mais parfois, ça va un peu contre le sens de la création. » Après tout, le théâtre n’est-il pas en soi un acte d’appropriation? Celui qui fait aussi partie d’Improtéine raconte qu’avec Créations In Vivo, il est allé au Bénin avec la pièce Charly dans le désert. La pièce mettant en scène deux personnages sous forme de marionnettes, un petit garçon blanc et une petite fille noire. « Il était important d’avoir le point de vue africain, car nous étions deux Blancs à avoir écrit le texte. » À la suite des commentaires, quelques modifications ont été apportées au personnage d’Inna. Mais aurait-il fallu que le marionnettiste soit absolument noir pour manipuler la marionnette? Stéphane Guertin n’en est pas convaincu.
Là où les deux hommes de théâtre se rejoignent, c’est dans la recherche qui doit être faite lorsque le théâtre aborde ses sujets culturels étrangers aux gens qui montent un tel spectacle.
Minorités même combat
Le fait d’œuvrer dans un milieu minoritaire linguistiquement parlant semble prédisposer les créateurs à une sensibilisation certaine face à l’appropriation culturelle. « Je pense qu’on est un tantinet plus conscient », observe Joël Beddows. Il constate ainsi « une affinité de mentalité » entre les francophones et les autochtones. Depuis qu’il est à Toronto, l’auteur franco-ontarien s’aperçoit aussi que la francophonie de la Ville Reine est aussi multiple, venant de plusieurs horizons.
De son côté, Stéphane Guertin trouverait inapproprié que dans une série qui se déroulerait en Acadie, les producteurs ne puissent pas donner des rôles importants à des Acadiens. Idem si on avait besoin d’une voix avec un accent colombien, ce serait logique de donner le contrat à un comédien colombien. « Encore faut-il en trouver un… »
« Les pièces qui explorent la différence devraient être montées davantage », assure d’emblée Joël Beddows, qu’elles traitent de racisme, d’homophobie ou de misogynie. « Qu’un Juif soit joué par un Noir ou un Chinois, ça fait partie du questionnement. »
Une réflexion qui sera peut-être à l’ordre du jour du forum de l’ATFC en juin prochain. Même si Mélanie Tremblay ne peut rien confirmer pour le moment, chaque année l’ATFC organise un forum sur un enjeu particulier. « L’appropriation culturelle fait partie des sujets proposés pour le forum 2019 », mais le CA de l’association devra d’abord, en avril, entériner la programmation de celui-ci.