Joël Brodovsky-Adams et la céramique, est-ce une histoire de destinée? Quand il a quitté Winnipeg pour étudier la biologie à l’Université McGill. Il ne pensait pas revenir chez lui avec une passion aussi forte, presque existentielle, entre les mains.
Par Morgane LEMÉE
Il l’avait mentionné à une amie avant de déménager à Montréal : « Pourquoi pas prendre un cours de céramique? » Sans le savoir, Joël Brodovsky-Adams posait ainsi le doigt sur son âme d’artiste, une âme de céramiste qu’il n’avait jamais exploitée jusque-là.
« Cette idée, c’était juste pour trouver une activité en dehors de l’université. Je voulais faire quelque chose de manuel, comme une distraction. Après un mois à Montréal, mon amie m’a envoyé plein d’infos sur des cours de céramique. Je me suis inscrit. Et j’ai juste adoré. »
Il faut voir Joël Brodovsky-Adams en action : la zénitude incarnée, une concentration exemplaire, un bien-être contagieux. Il élève, tout en douceur, les parois d’argile de sa future pièce qui tourne, qui tourne, qui hypnotise. Quel est donc le pouvoir de la céramique?
« Il arrive un point de concentration intense, où quelque chose de méditatif apparaît dans le travail de la terre. Tu es dans une zone, comme durant une séance de méditation. C’est un bon moyen de s’échapper, de gérer le stress. Je suis vraiment reconnaissant d’avoir eu la céramique pendant mes années d’études à Montréal. »
Pour son premier cours, Joël Brodovsky-Adams avait choisi Marko Savard, un céramiste montréalais, diplômé du réputé Centre de céramique Bonsecours. « Je l’ai suivi à tous les ateliers où il offrait des cours. J’ai suivi quatre semestres de cours avec lui et un semestre avec Jennifer Wicks. Pendant deux ans et demi, ils ont été mes mentors, ils m’ont tout appris. »
Plus Joël Brodovsky-Adams s’intéressait à la céramique, moins il s’intéressait à la biologie. En 2015, il se sent prêt à creuser son sillon et loue son propre espace dans l’atelier de Marko Savard. Il va tout de même au bout de son baccalauréat en biologie, qu’il obtient en décembre 2016. Il reste ensuite à Montréal, avec un désir profond : se donner plus sérieusement à la céramique. Il participe à des foires artisanales à Montréal, à Winnipeg, vend ses oeuvres par-ci, par-là.
Juste par passion
En fait, comment vivre sa vie, comment la gagner comme artiste céramique? « Je ne sais pas, je ne l’ai jamais fait. J’ai toujours travaillé à côté pour vivre, surtout dans le milieu de la restauration. Honnêtement, je ne sais pas si j’aimerais vivre de la céramique. J’ai peur de ne plus aimer si j’en fais de trop. J’aime ça parce que ce n’est pas nécessaire. Je le fais juste par passion. »
De retour à Winnipeg depuis décembre 2018, les mains de Joël Brodovsky-Adams voguent entre le grès noir et la porcelaine, ses deux argiles de prédilection. Dans l’atelier qu’il loue à la galerie Edge, il est entouré d’un paquet de bols tournés la veille, de tasses prêtes pour le tournassage, d’autres pour la première cuisson. Les étapes de création s’entremêlent dans le quotidien de l’artiste.
« C’est pourquoi il m’est si difficile de savoir le temps exact de production pour une pièce, même si tout le monde me pose cette question. Si je travaillais fort sur une seule pièce, je pourrais peut-être la réaliser en une semaine. En réalité, ça me prend des mois. Il y a des potiers qui font une production entière en trois semaines. Mais je ne viens sûrement pas assez à l’atelier pour y arriver.
« De plus, l’inspiration vient par vagues. Il peut se passer des semaines ou des mois où je vais tout le temps à l’atelier, où j’ai hâte d’y retourner. Et entre ces moments, il se passe des fois un mois où je ne veux pas toucher à la céramique. »
Joël Brodovsky-Adams ne dessine jamais ses pièces au préalable. Une seule mesure nécessaire : le poids. Pour une tasse? 350 grammes d’argile. Car ses oeuvres se veulent légères, au toucher raffiné, et durables à la fois. Sauf pour ses nestings bowls, qu’il mesure « à peu près », tout se passe dans sa tête.
« Quand j’ai commencé, j’étais comme à la merci de l’argile. Elle dictait elle-même la forme finale qu’elle aurait. Il y a eu un moment où j’ai réussi à prendre le contrôle. Je suis arrivé au point où j’arrive à imaginer sa forme finale et la maitriser. C’est une question d’expérience, de pratique. Et j’ai beaucoup, beaucoup pratiqué. On dit que c’est l’affaire de 10 000 heures pour devenir un maitre. Je ne sais pas si j’en suis arrivé là, mais ça s’en vient. »
Un rêve? « Je pense souvent créer, ici à Winnipeg, un studio collectif comme celui de Marko Savard à Montréal. Avec cinq ou six artistes qui louent l’espace, et une offre de cours. J’aimerais créer un bel environnement pareil un jour. J’y pense souvent, même si je me pose toujours la question : Aimerais-je vraiment être céramiste full-time? Je ne sais pas. »
Le céramiste de 23 ans s’envolera vers Halifax en septembre prochain pour suivre le programme de céramique du Nova Scotia College of Arts and Design. En attendant, une grande partie des oeuvres signées JBA seront disponibles à la boutique PUBLIC, au 156, rue Sherbrook, à Winnipeg, lors de deux ventes éphémères : le 4 juillet (de 15 h à 20 h) et le 7 juillet (de 12 h à 17 h).