Du 28 au 30 mai, dans la région de la capitale nationale, plus d’une trentaine d’intervenants se sont relayés pour tracer à la fois un bilan et envisager certaines perspectives à cette loi votée en 1969.
Par André MAGNY (Francopresse)
Divers thèmes ont évidemment été abordés, allant du questionnement de la dualité linguistique aux attentes envers une nouvelle loi sur les langues officielles, en passant par la place faite aux langues autochtones ou encore les perspectives économiques et régionales de politiques linguistiques.
Francopresse a pu s’entretenir avec trois des conférenciers présents à l’Université du Québec en Outaouais (UQO).
Laurendeau-Dunton dépoussiérée
S’il est une historienne qui connait bien les soubresauts causés par les débats entourant les langues officielles au Canada, c’est bien Valérie Lapointe-Gagnon. Professeure à Edmonton, au campus Saint-Jean, faculté francophone de l’Université de l’Alberta, elle a publié l’an dernier Panser le Canada – Une histoire intellectuelle de la commission Laurendeau-Dunton, celle-là même à l’origine de la Loi sur les langues officielles (LLO).
Lors de sa conférence de mercredi dernier, elle a donc abordé l’esprit de la Loi, en faisant référence à la commission qu’elle a étudiée.
En 1969, on est en pleine contestation au Canada. Le Québec est très revendicateur. Au moment où la commission se met en branle, certains anglophones et francophones croient que l’avenir du Canada passe par une reconnaissance accrue de sa diversité et surtout de sa dualité linguistique.
Valérie Lapointe-Gagnon rappelle certaines propositions des commissaires. « Ils allaient plus loin que la loi actuelle; ils recommandaient, par exemple, des districts bilingues. Ils souhaitaient que le Nouveau-Brunswick se déclare bilingue, que l’Ontario se déclare bilingue aussi. » Cinquante ans plus tard, la loi a-t-elle atteint cet objectif? L’historienne ne le croit pas. « On n’a pas encore atteint cette égalité des chances. » Peut-être parce que tous les Canadiens n’ont pas encore pleinement adhéré à cette dualité chère à l’ancien directeur du Devoir, André Laurendeau. Il parlait, rappelle Mme Lapointe-Gagnon, « d’une adhésion libre d’un peuple libre » à cette idée de biculturalisme. Les Canadiens devaient « rêver leur pays ».
L’arrêt Gascon
De son côté, lors de son intervention, le politicologue franco-ontarien Martin Normand de l’Université d’Ottawa a voulu notamment mettre en lumière certaines failles de la loi actuelle sur les langues officielles, en particulier sa Partie VII.
Celle-ci prévoit que le gouvernement fédéral a l’obligation de prendre des mesures positives pour appuyer l’épanouissement des communautés minoritaires de langue officielle. Or, l’an dernier, il y a eu un recours de la part de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) contre Emploi et Développement social Canada. Le gouvernement canadien ayant demandé à la Colombie-Britannique d’offrir à sa place des services d’aide en français à l’emploi. Ces derniers étaient jugés alors de qualité inférieure par la FFCB.
Le juge Gascon de la Cour fédérale statuait donc en mai 2018 qu’en l’absence de règles aptes à nuire à l’application de la LLO, la Partie VII était donc respectée. Déception du côté francophone.
Dans toute cette histoire, selon le stagiaire postdoctoral associé à la Chaire de recherche sur la francophonie et les politiques publiques, l’absence d’une règlementation claire lorsqu’il y a des transferts fédéraux vers une province, comme ce fut le cas en Colombie-Britannique, indique «un manque de leadeurship » de la part du gouvernement. « Certes, il y a eu des améliorations dans le respect des langues officielles » depuis l’adoption de la LLO, reconnait M. Normand, mais celui sur « la dualité linguistique » reste fragile selon ses propos.
LLO : une œuvre inachevée?
Le fondateur et ancien directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICMRL) à l’Université de Moncton, Rodrigue Landry, a également pris la parole au cours du colloque.
Ce qui l’intéressait particulièrement de démontrer, c’était de savoir si la LLO avait eu quelque incidence sur le développement psycholangagier des locuteurs francophones et sur l’identité collective des minorités de langue officielle. Pour ce chercheur émérite, la revitalisation langagière dépend de trois acteurs : les individus et les familles, la société civile de la minorité et l’État.
Bien sûr, tout ne dépend pas de ce dernier. Quand deux francophones se parlent en anglais ou demandent des renseignements en anglais sous prétexte qu’ils sont bilingues, « il y a une langue de trop », s’indigne M. Landry. Par contre, c’est au gouvernement de faire en sorte de créer un aménagement linguistique propice à l’épanouissement d’une langue. Selon les recherches de M. Landry, les plans d’action sur les langues officielles accompagnant la LLO sont incomplets et largement défectueux. « Comment voulez-vous planifier des politiques quand il n’y a pas une cenne pour la recherche! De plus, la population n’est jamais bien renseignée sur ces droits linguistiques ». Résultat, la fameuse partie VII de la LLO — celle où il est dit que le gouvernement fédéral doit prendre des mesures concrètes visant l’épanouissement des communautés minoritaires de langue officielle — bat souvent de l’aile.
Les trois conférenciers s’entendent pour dire qu’une modernisation de la LLO serait la bienvenue. Cependant, à l’aube des élections canadiennes, tous ne sont pas convaincus que cette modernisation fera partie des thèmes de la prochaine campagne électorale. « Si on veut une vraie modernisation, ça va brasser des choses », de conclure Valérie Lapointe-Gagnon.