Mitch Podolak, une des figures de la musique manitobaine et co-fondateur du Winnipeg Folk Festival, est décédé. En juillet dernier, on rencontrait Leonard Podolak, à l’aube de la 47e édition du festival folk. Retour sur le témoignage d’un musicien né, qui raconte le parcours et les influences de son père, son héros.
Par Morgane LEMÉE
Comment dire que Leonard Podolak ne connaît pas de vie sans le Winnipeg Folk Festival? Né deux semaines après la deuxième édition du festival, il y a grandi et a vu toutes ses évolutions. À huit ans, il était bénévole. À 15 ans, il conduisait les artistes. À 22 ans, il y jouait officiellement pour la première fois.
À la maison, ses parents, Ava Kobrinsky et Mitch Podolak, accueillaient des musiciens du monde entier et les conversations tournaient toujours autour de leur passion, la musique folk. Comme il le dit si bien : « En fait, c’était le Folk Fest chaque jour chez moi ».
Quand on baigne aussi jeune dans la musique folk, est-ce inévitable d’en faire sa vie? Leonard Podolak pense que oui. Pourtant, adolescent, il aurait juré le contraire. « À cette époque, je ne m’intéressais pas du tout à la musique folk. J’étais le typique adolescent rebelle.
« Je me souviens d’un été avec mes parents, lors d’un voyage vers Vancouver. Mon père voulait qu’on passe par le Festival Folk d’Edmonton. Il avait aidé à la création et on pouvait avoir accès à tout. J’ai dit : Non! Aucune chance. Il faut dire que ce n’était pas du tout hip que mon père soit le directeur du Folk Festival à cette époque. Mes amis se moquaient de moi. Avant que ça ne devienne super cool. »
L’ADN folk
Alors que Leonard Podolak conte ses souvenirs, entre deux rires contagieux, on peut entendre derrière lui les cordes du banjo qui résonnent. Comme si ce fond sonore reflétait l’omniprésence de la musique folk dans sa vie.
« On recevait des bands à la maison, tout le temps, mais je ne me rendais pas compte que c’était ça, la musique folk. Je ne savais pas que la musique irlandaise était différente de l’écossaise, de la québécoise ou celle de l’Appalaches. C’était juste la musique de mes parents et de leurs amis. »
En grandissant, Leonard Podolak a commencé à s’intéresser au violon et à l’accordéon. Finalement, c’est le banjo, l’instrument qu’il y avait le plus chez lui, qu’il a choisi. « J’ai pris l’argent que ma grand- mère avait gardé pour mes années d’université et je suis allée au banjo camp à la place! (rires) »
Leonard Podolak a commencé la musique professionnellement à 19 ans, avec le groupe Scruj MacDhuk. Bien qu’ils se soient séparés en 2001, ça ne l’a pas arrêté, loin de là. Il a ensuite formé le groupe The Duhks, avec qui il a gagné un Juno, un Grammy et des centaines de souvenirs de scène et de tournée, entre le Canada et les États-Unis.
Il le reconnaît : « Pour moi et le groupe, ça a été plus facile pour commencer au Canada grâce aux connexions de mon père. Même si les directeurs ne voulaient pas nous accueillir, ils prêtaient attention à ce que je faisais. Puis, on a vraiment marché et on a fini par se faire nos propres connexions. »
Mitch Podolak, le fêtard socialiste
Comment c’était de grandir avec Mitch Podolak? « Mon père a une grosse personnalité. Comme parent, il était vraiment le fun. Il était mon coach de hockey, même s’il ne savait pas patiner. On faisait beaucoup de pêche. Il avait hâte d’organiser des fêtes pour moi. J’étais vraiment er quand on organisait des fêtes du nouvel An. Il y avait des centaines de personnes dans notre maison, de la musique partout. C’était fou. »
« C’est sûr, mon père était très occupé. Trop à mon avis. J’étais tellement content quand il a quitté le festival. Bon, maintenant, je regrette qu’il ne soit pas resté plus longtemps. » (Rires)
« Le Winnipeg Folk Fest, ce n’était pas juste un gig pour mon père. C’était une fin de semaine de socialisme. Tout le monde était égal. Tous les artistes étaient payés le même cachet, peu importe leur réputation. Ils attendaient dans la même ligne que tous les bénévoles pour manger. Et mon père ne se faisait aucun argent. Il s’assurait que ça ne coûte rien aux artistes de venir jusqu’à Winnipeg et que le festival soit un succès pour eux. »
Mitch Podolak et Ava Kobrinsky ne se sont pas arrêtés avec le Winnipeg Folk Festival. Le couple d’artistes est aussi derrière le Festival des enfants de Winnipeg et le West End Cultural Centre (WECC). Quand Leonard Podolak parle du parcours de ses parents, il se sent reconnaissant.
« Mes parents m’ont tout donné. Je peux parler en français grâce à eux, je peux rester chez mon héros et ami Yves Lambert. J’aime la musique québécoise et irlandaise grâce à eux, et aussi la musique cajun, de l’Amérique du Sud ou du Japon. Tout ça, c’est un cadeau de mes parents pour moi. »
« Et ils ont donné aussi de grands cadeaux à tout Winnipeg et à tous les musiciens qui ont pu jouer à ces festivals. Évidemment, ils n’ont pas fait tout ça tout seuls. Mais mon père était le rêveur, l’inspirateur, le rassembleur. Je suis vraiment fier d’eux et er qu’ils m’aient guidé sur ce chemin. »
Une mère hors du commun
Bien qu’on parle plus souvent de son père, Leonard Podolak tient à rappeler les accomplissements de sa mère, Ava Kobrinsky, et à quel point elle est aussi importante. « Ma mère a créé le WECC et l’a géré pendant très longtemps. Elle a transformé Winnipeg Contemporary Dancers. Elle était là au Winnipeg Jewish Theatre et a aussi fondé Manitoba Film and Music. Aujourd’hui, elle est la directrice générale de Home Routes / Chemin Chez Nous.
« Ma mère est vraiment une des héroïnes de la scène folk au Canada, et à Winnipeg en particulier. Sans elle, rien n’aurait été possible, mon père n’aurait jamais pu faire tout ça. De toute ma vie, c’est la personne que j’ai vu travailler le plus fort. Et elle n’a jamais arrêté. C’est incroyable tout ce qu’elle a fait. Même si elle n’aime pas le reconnaître. Sans elle, ma jeunesse aurait été très différente. »
Son plus beau souvenir au Winnipeg Folk Festival? Difficile de choisir. Enfant, c’était peut-être de voir Al Simmons. Adolescent, c’était sûrement le privilège de conduire ses artistes préférés autour du festival. « Jouer avec The Duhks sur la scène principale du Folk Fest, ça c’était vraiment quelque chose de spécial. »
Le Winnipeg Folk Festival a bien changé. Leonard Podolak : « Le bon vieux temps du festival me manque. Aujourd’hui, je n’aime pas trop voir un garde de sécurité en gilet jaune. Ce n’est pas mon style. Et en même temps, c’est nécessaire. Et il y a des choses merveilleuses qui n’ont pas changé. Ça reste un regroupement d’artistes, de bénévoles et une place d’égalité. »
Cette année, Leonard Podolak ira au Winnipeg Folk Festival en famille. Bien qu’il ne reste pas en ville exprès, s’il est à Winnipeg, c’est une évidence. « C’est important que j’emmène mes enfants au Folk Fest. C’est la musique que j’aime et qui m’est importante. Avec ma femme Erna, on vient d’avoir notre deuxième lle, Hannah, il y a un mois. Ce sera son tout premier festival cette année. Et notre fille aînée de trois ans, Ea, a vécu son premier festival à cinq jours. Elle aime beaucoup la musique, jouer, chanter. J’ai vraiment hâte de voir ce qu’elle va faire plus tard. »