Trente ans après la tuerie du 6 décembre, qui a coûté la vie à 14 étudiantes de l’école Polytechnique de Montréal, que reste-t-il de cet attentat dans la mémoire collective canadienne? Si, en 1991, le Parlement du Canada a officiellement rendu cette date Journée de commémoration et d’action contre la violence faite aux femmes, cette action a-t-elle contribué à faire avancer la cause?

 

Par Gratianne DAUM (Francopresse)

 

« Même si c’est une journée commémorative nationale, le Canada, en tant que pays, est très régional. Les provinces ont souvent tendance à ignorer les maux sociétaux des autres provinces même si un mal touche à l’ensemble. » Cette observation de l’une des personnes interrogées sur le sujet, ici à Grande Prairie, Alberta, semble s’avérer.

En Colombie-Britannique ou en Alberta, par exemple, les personnes impliquées dans l’aide aux femmes par le biais de leur travail ou celles ayant des liens directs avec Québec, en ont connaissance. « J’ai connu parce que j’étais au Québec, mais je n’en ai jamais entendu parler ici et jamais vu passer sur les médias sociaux », dit par exemple Catherine, résidante de North Vancouver, en Colombie-Britannique.

Parmi les jeunes, les étudiants en génie civil semblent majoritairement informés. C’est le cas pour Joyce, étudiante à Shédiac, au Nouveau-Brunswick : « Oui, le 6 décembre est une journée marquante dans l’histoire de l’ingénierie, c’est une des premières choses que j’ai entendues quand j’ai commencé mes études. »

Au fil des ans, cet évènement semble se distinguer davantage comme un épiphénomène au sein de la thématique plus large du traitement de la femme dans la société. « C’est un bon signe que la dernière tragédie faite envers les femmes au Canada soit arrivée en 1989, ça veut dire que l’on est sur la bonne voie, mais je suis plus inquiète de ce qui se passe dans les maisons où les femmes se font violentées sans témoins », estime Catherine.

Sur l’importance d’une journée commémorative dédiée, elle répond : « C’est un bon moyen, mais je suis convaincue qu’une éducation continue est le meilleur moyen. Et pas forcément de prendre les grandes tragédies comme exemple. »

Le talisman des minorités

Cette journée commémorative peut-elle venir à bout de l’hydre féminicide? Marie, impliquée dans un organisme de protection de femmes violentées, voit en cette journée dédiée l’utilité suivante : « Des personnes qui n’ont pas été victimes ou témoins de violence peuvent être amenées à penser qu’en effet, c’est du passé. Cela permet, en ouvrant la journée commémorative à toutes les violences, de permettre à toutes les communautés concernées de se sentir entendues. »

Ruth, psychologue en Alberta, abonde en ce sens : « Lorsqu’on prend en considération la vérité et le vécu de chacun, je crois que cela permet à l’autre de se sentir accepté, soutenu et reconnu. Cela crée du lien. Et le lien est curatif. » C’est ce que semble observer Joyce qui estime que cela « a fait une différence de l’acceptation des femmes en génie ».

Quelques-unes des personnes interrogées avouent cependant être mitigées à cet égard. Pour elles, cette commémoration est un hommage à ces étudiantes, mais n’a pas fait avancer la lutte contre les violences faites aux femmes. La mobilisation publique, des autorités et l’éducation des jeunes sont des solutions plusieurs fois évoquées, et élargies à l’oppression des femmes : « La prise de conscience ne doit pas s’arrêter à une journée » dit Patricia à Montréal. Catherine va dans ce sens : « il est important d’éduquer les jeunes hommes et femmes à propos du passé et continuer l’éducation des hommes sur leurs manières envers les femmes. »

La cause gagnerait-elle en force si elle était signalée plus visiblement? « Je pense qu’il y a un phénomène intéressant quand on déclare une journée [commémorative] : on voit des gens porter un chandail rose contre l’intimidation à l’école; un chandail orange en souvenir des survivants du système d’écoles résidentielles; des coquelicots pour les anciens combattants, etc. Quand on arrive à avoir une masse qui participe, ceci montre une sorte de solidarité pour cette cause (et) le relève dans la conscience publique », pense Janet, thérapeute par les arts à Vancouver, en Colombie-Britannique.

L’urgence féministe fédératrice

Trente ans plus tard, on perçoit qu’une journée commémorative ne saurait porter le risque d’effacer la singularité d’un tel traumatisme. De savoir si ce fût un tribut psychique nécessaire pour acter la lutte contre la violence faite aux femmes et la circulation d’armes à feu, il est difficile de répondre. Mais elle apparait comme la déferlante de plusieurs répliques de lutte contre l’oppression des femmes sous toutes ses formes.

Et la nouvelle de ce début novembre pourrait ajouter un nouveau souffle : cet acte est maintenant qualifié d’attentat antiféministe. Si la journée de commémoration apaise le traumatisme et a la capacité de valoriser les minorités pour une meilleure acceptation, ce changement pourrait développer des mécanismes de prévention.