Pour la première fois en 87 ans, l’Association de promotion et de défense de la recherche en français (Acfas) a dû annuler son congrès annuel en raison de la COVID-19. Un autre évènement phare de la francophonie, le Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes, est pour sa part reporté d’un an. Cette période sera mise à profit par certains chercheurs qui veulent voir les universités jouer un rôle plus important dans les rapprochements entre les francophones du Canada et du Québec.
Par Ericka MUZZO – Francopresse
La question a été étudiée les 6 et 7 mai derniers lors d’un colloque virtuel gratuit organisé par l’Acfas sur le thème du Rapprochement des francophonies canadiennes à travers la recherche et l’enseignement supérieur.
« On pense que dans les dernières Politiques du Québec en matière de francophonie canadienne, la recherche universitaire a toujours été très secondarisée. Et pourtant, les institutions universitaires francophones ont un énorme potentiel de collaboration! » estime le président du colloque, François Charbonneau, également professeur à l’Université d’Ottawa et membre du conseil d’administration de l’Acfas.
« Nous avons développé un paquet d’initiatives qui étaient censées nous amener au Sommet de 2020 ; comme il est repoussé d’un an, on s’est dit qu’on tiendrait quand même le colloque pour voir si ça allait fonctionner », enchaine-t-il.
Valoriser l’expertise franco-canadienne
Ce colloque s’inscrit dans une lignée d’évènements similaires, dont l’un des premiers a eu lieu en janvier 2019. Coorganisée par les chercheurs Linda Cardinal et Martin Meunier de l’Université d’Ottawa, la journée d’étude du 31 janvier 2019 portait notamment sur les relations entre le Québec et la francophonie canadienne « au passé et au présent ».
« Je pense que le moment déclencheur, ça a été le 15 novembre 2018, quand le gouvernement ontarien a annoncé l’annulation du financement de l’Université de l’Ontario français et l’abolition du Commissariat aux services en français. Ça a mobilisé les francophones à travers le Canada, incluant les universitaires », évalue la politologue et chercheuse franco-ontarienne Linda Cardinal.
Ayant assisté au colloque de l’Acfas à titre de panéliste et de participante, elle se réjouit de l’intérêt porté «à la compréhension de l’enseignement supérieur dans la francophonie minoritaire» ainsi qu’au « renouvèlement des relations avec le Québec ».
« Pour l’avenir de ces relations, l’une de mes recommandations serait d’explorer avec des universités québécoises la possibilité que la francophonie canadienne soit considérée comme un domaine d’expertise. Par exemple, si l’on cherche à embaucher quelqu’un en santé, si j’arrive avec une expertise en santé des populations en milieu minoritaire francophone, que ça ne soit pas vu comme un handicap, mais plutôt comme une expertise qui pourrait être intéressante dans un corps professoral québécois », soutient Linda Cardinal.
Un exemple qui fonctionne
Le président du colloque de l’Acfas, François Charbonneau, souligne qu’il existe déjà une volonté de collaboration entre les institutions postsecondaires de la francophonie canadienne et du Québec.
L’un des meilleurs exemples, d’après lui, est le partenariat entre l’Université de Sherbrooke et l’Université de Moncton : depuis 2006, le Centre de formation médicale du Nouveau-Brunswick de l’UMoncton offre le doctorat en médecine et les programmes de maitrise et de doctorat en sciences de la santé de l’USherbrooke. Une trentaine d’étudiants en bénéficient chaque année.
« C’est une collaboration qui demande beaucoup de doigté. Les universités n’ont pas l’habitude de travailler nécessairement en collaboration par-delà les frontières provinciales, et le milieu éducatif est très complexe et demande toutes sortes d’autorisations. Mais ce que l’USherbrooke et l’UMoncton ont démontré dans cette collaboration-là, c’est que lorsqu’il y a une volonté, les portes s’ouvrent », souligne François Charbonneau.
Ne pas négliger les plus petits joueurs
Considérant la petite taille de plusieurs universités francophones en milieu minoritaire, les deux chercheurs s’entendent pour dire que de tels partenariats sont d’une importance capitale.
« J’aimerais avoir un portrait de l’état actuel. C’est intuitif ce que je vous dis, mais il y a déjà beaucoup d’échanges, entre autres dans les projets de recherche. On est souvent en lien avec nos collègues d’autres universités en raison de nos thèmes de recherche. Si vous travaillez sur l’immigration par exemple, vous pourriez avoir des relations avec des chercheurs au Québec. Si vous travaillez sur les finances publiques, ça risque d’être pareil », constate Linda Cardinal.
La politologue nuance toutefois : « Si vous travaillez sur les politiques linguistiques de la francophonie canadienne, là c’est un peu plus difficile, parce que les chercheurs au Québec ne sont pas très préoccupés par cette question-là, même par la situation linguistique dans leur propre province. Par contre, si vous travaillez sur le fédéralisme, vous allez trouver des gens! »
François Charbonneau estime pour sa part qu’il est impératif de reconnaitre la valeur des petites institutions et leur apport au développement de la francophonie canadienne.
« Les plus petits joueurs ont aussi quelque chose à dire, un point de vue qui varie selon leur propre réalité. Il faut respecter ces réalités et ces besoins qui sont complètement différents d’une région à l’autre. Et ça a été bien souligné par les divers intervenants du colloque. »
Les universités comme outil structurant
La mise en place de structures faciliterait sans doute la collaboration entre les institutions, d’après les deux experts.
« J’aimerais qu’il y ait plus de mobilité pour les professeurs et les étudiants, qu’il y ait une sorte de couloir dans le Canada francophone pour que, quand par exemple les professeurs franco-ontariens veulent développer des liens, qu’ils ne passent pas seulement de l’Ontario au Nouveau-Brunswick, mais qu’ils puissent passer aussi par le corridor québécois et participer à plus d’activités universitaires québécoises », défend Linda Cardinal.
« Il faudrait qu’on se donne une vision francophone plus pancanadienne, sans remettre en question qu’il y a des sociétés [diversifiées], mais qu’on puisse se donner des volets où on sent que la participation francophone hors Québec est valorisée », ajoute-t-elle.
Aux yeux de François Charbonneau, les universités ont le potentiel de jouer ce rôle structurant pour les initiatives en francophonie canadienne, en collaboration avec le Québec.
« Les collaborations entre francophones du pays passent principalement par les institutions. Or, on a peu d’institutions communes pour les francophones hors Québec et Québécois : on a Radio-Canada, l’Acfas, mais sinon il y en a très peu. Il y en a dans des domaines très pointus, l’Acelf par exemple, qui est peu connue hors du milieu. »
« Quand on pense à la francophonie canadienne, ça passe par le milieu éducatif, mais rarement par le milieu postsecondaire et on pense qu’il faut donner un coup de barre de ce côté-là », évalue le président du colloque.
Des attentes par rapport au gouvernement québécois
Pour les chercheurs en francophonie canadienne, le report d’un an du Sommet sur le rapprochement des francophonies canadiennes est une occasion de mieux se préparer à défendre la position souhaitée des universités. Un rapport sera notamment rédigé à la suite du colloque virtuel.
« Le gouvernement du Québec veut jouer un rôle en francophonie canadienne. Il en joue déjà un, puisqu’il y a un appui financier depuis longtemps, mais là il y a une sorte de volonté de mettre de l’argent sur la table. Ils ont annoncé en aout 2019 près de 1,3 million de dollars pour favoriser les échanges. Mais le problème avec des initiatives comme celles-là, c’est que souvent on ne sait pas où diriger les sommes, donc on crée des initiatives qui durent un an, deux ans… Nous, ce qu’on pense, c’est que le milieu universitaire peut être très structurant : on peut faire des échanges étudiants, des cotutelles pour permettre à des étudiants d’étudier dans une institution puis dans une autre… C’est une des idées qui se sont dégagées du panel », résume François Charbonneau.
La ministre québécoise responsable des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Sonia Lebel, a d’ailleurs prononcé une allocution en ce sens lors de la deuxième journée du colloque virtuel de l’Acfas.
« Elle a dit deux choses qui m’ont marqué : d’abord, qu’il va falloir respecter les réalités et les besoins des communautés francophones, la volonté du gouvernement québécois étant d’avoir un impact positif à long terme et non pas seulement des enveloppes uniques. Ensuite, qu’elle voyait ces collaborations passer notamment par le lien institutionnel universitaire », rapporte encore François Charbonneau.
« L’idée, c’est de faire des représentations au gouvernement du Québec, mais aussi de fédérer les acteurs. Je pense que ça a été un bel évènement pour ça », conclut-il.
Quant à Linda Cardinal, elle constate une ouverture et un intérêt de part et d’autre pour un rapprochement entre les francophonies canadiennes. Elle évalue toutefois qu’il faudra beaucoup de volonté des diverses parties pour arriver à dynamiser ces relations.
« La relation entre le Québec et le reste de la francophonie, c’est une relation volontaire. Donc ça prend une politique volontariste, portée par des ministres, des élus qui donnent le ton et qui injectent du dynamisme dans les appareils gouvernementaux pour que les choses se passent. Quand on a cette volonté politique, on sent qu’il y a de l’air, de l’oxygène dans le système, et c’est là qu’on peut faire des choses », estime la politologue franco-ontarienne.
« J’espère que c’est la nouvelle Politique du Québec en matière de francophonie canadienne va faire l’objet de beaucoup de volonté. Parce qu’une relation, ça se nourrit, ça ne se renouvèle pas tout seul. Ça grandit parce qu’on l’a nourrie et c’est ce que j’espère. »