L’impossibilité actuelle d’avoir un vaste public physiquement présent fait souffrir le monde des arts. À quelle enseigne sont logés les pigistes de la scène qui ont dû recourir à des nouvelles idées pour s’en sortir? Témoignage de Marie-Ève Fontaine.
Ses parents, Jean Fontaine et Natalie Labossière, ont fait connaissance dans une salle d’improvisation théâtrale. De là à en conclure que Marie-Ève Fontaine ne pouvait qu’être attirée par le monde des arts de la scène, il n’y a qu’un pas que l’imagination franchit volontiers.
Il y a dix ans, elle décide de partir à Ottawa « pour suivre en français des études en théâtre, en marionnettes, en arts de la scène ». Depuis l’obtention de son baccalauréat en 2014, Marie-Ève Fontaine vit de son art. Elle demeure toujours à Ottawa, mais « passe au moins deux mois par an au Manitoba, souvent au printemps, pour réaliser divers projets ».
« Au début, je faisais des spectacles en tant que comédienne. » Pour ce type de prestations, l’artiste doit attendre un appel. « Mais on ne peut pas seulement attendre les appels. Surtout que bien des fois, ça ne paye pas bien. Alors il faut se diversifier. » L’artiste souhaitait néanmoins se diversifier dans son domaine de prédilection : le théâtre.
La solution consistait à travailler comme pigiste. « C’est un statut précaire, mais au bout d’un moment, les gens commencent à te connaître. » Marie-Ève Fontaine rappelle que depuis six ans, elle a eu le temps de se créer des contacts.
Exemple? « En 2018, la réalisatrice manitobaine Danielle Sturk m’a contactée pour être dans son documentaire Sous la coupole au sujet de l’Université de Saint-Boniface. J’ai aussi écrit une partie de la narration. » Une expérience qu’elle a fort appréciée. « C’était le fun, un défi d’un autre genre. »
Mais voilà, avec le confinement mis en place, « les projets évoluent au jour le jour. Au début, on ne savait pas combien de temps tout ça allait durer. Alors j’ai eu la frousse ».
Concrètement, 8 000 $ de contrats ont été annulés en avril-mai. Marie-Ève Fontaine voulait donc trouver « un moyen de payer son loyer dans les prochains mois ». La comédienne a donc fait appel à une autre de ses passions : le perlage. Elle s’est lancée dans la vente de ses créations. « Ça a bien fonctionné pour les deux premières semaines. »
Et puis le gouvernement fédéral a annoncé une aide financière de 2 000 $ par mois pour des gens à la pige. « Je ne fais pas nécessairement plus que ça d’habitude, réparti sur l’année. » Un soulagement s’est alors installé. « Je n’avais plus besoin de penser au côté administratif, mon cerveau était libéré pour la création. » Même si « l’incompréhension de l’avenir » plane toujours.
Sa poussée créative l’a conduite à des Facebook live. « Le 10 avril, j’ai adapté une de mes pièces solos Le dire de Di, de l’auteur franco-Ontarien Michel Ouellette, au Facebook live. » Une expérience qu’elle a jugée très intéressante, même si elle s’interroge sur la pérennité de ce procédé. « C’est cool, mais le théâtre, c’est aussi le goût de se retrouver dans une salle de spectacle. »
Au demeurant, la technique d’acteur doit être adaptée au monde numérique. « En live on peut faire des mouvements amples. Mais l’écran rapetisse beaucoup la scène. Donc il faut que j’épure un peu mes gestes. » Elle ajoute aussi qu’à la télévision, le téléspectateur « voit tout, même ce qu’il ne voit pas d’habitude ». Une réalité qui change la perspective du spectacle.
Au programme aussi, l’adaptation d’un projet de théâtre « sur les relations entre les États-Unis et le Panama, sous forme d’enquêtes journalistiques. » Panama, un projet qu’elle et son ami et collaborateur Guillaume Sandon souhaitaient développer à travers leur nouvelle compagnie de production 2359, créée l’année passée. Ce projet a été réalisé en co-production avec la compagnie Trillium.
« La compagnie s’appelle ainsi, car nous l’avons établie un peu avant minuit. Guillaume vient de finir sa maîtrise de théâtre à Ottawa, avec une spécialité en narratives digitales. » Il devait s’occuper d’intégrer les nouvelles technologies à Panama, pendant que Marie- Ève Fontaine ferait son travail d’autrice.
L’autrice espère que le déconfinement sera progressif. Elle s’interroge aussi beaucoup sur « les vestiges de ce confinement : comment tout ça va affecter le théâtre dans le futur? La Nouvelle Scène à Ottawa, par exemple, ne reprendra pas sa programmation avant novembre au plus tôt. Avec une salle très réduite comparé à sa capacité normale de 180 personnes. Ça vaut-il vraiment la peine? »
Toutefois, le confinement a aussi ses bons côtés. Marie- Ève Fontaine évoque ainsi un de ses projets d’adaptation du recueil de nouvelles Cet été qui chantait de Gabrielle Roy, en collaboration avec le Théâtre Cercle Molière. Il devait d’abord réunir trois artistes au total.
Mais les déplacements étant rendus impossibles, le budget est devenu suffisant pour cinq artistes : le scénographe Denis Duguay, l’interprète et marionnettiste Natalie Labossière, le concepteur sonore Gérald Laroche et le conseiller et mentor artistique Pierre Robitaille. Avec eux bien sûr, l’auteure et interprète Marie-Ève Fontaine : « On a été super productifs! C’est le silver lining sur le gros nuage de la pandémie.