Par Jean-Marie TAILLEFER
Le Manitoba, né en 1870 avec la taille d’un timbre-poste, n’a eu de cesse d’étendre son territoire. D’autant plus que le gouvernement provincial n’avait pas le contrôle sur ses ressources naturelles, prérogatives jalousement préservées par Ottawa.
Ce n’est pas la moindre ironie de l’histoire du Manitoba que les Ontarians, qui ont arraché en l’espace d’à peine une décennie le pouvoir concédé aux Métis, ont dû à leur tour se battre bec et ongles pour assurer le développement de la cinquième province de la Fédération.
Évidemment, les Métis fondateurs, appuyés par leurs alliés canadiens-français venus en renfort du Québec, se sont battus, finalement en vain, pour préserver aussi longtemps que possible un peu de pouvoir politique.
Cette tension fondamentale entre les deux groupes adversaires a donné lieu à des débats acerbes à la Législature sur la manière de réajuster les structures politiques provinciales.
Par contre, un point de convergence existait entre les parties antagonistes. L’augmentation rapide de la population et le besoin de développement économique exigeaient impérativement que le Fédéral accorde des subventions supplémentaires.
Tous s’entendaient pour dire qu’une nouvelle entente plus équitable devait être négociée entre la Province et Ottawa. Par ailleurs, les Manitobains insistaient sur la nécessité d’étendre les frontières du timbre-poste.
Les appels à l’aide financière sont essentiellement restés lettre morte pendant les deux premières décennies d’existence du Manitoba. Par contre, le Fédéral a bougé du côté des revendications territoriales.
En 1881, la frontière à l’ouest s’est déplacée sans trop d’histoires jusqu’au 102e degré de longitude ouest et jusqu’au 52e parallèle au nord. Les problèmes sont survenus sur le flanc est.
Un différend mijotait entre Ottawa et l’Ontario, encore frustrée de ne pas avoir mis la main sur l’Ouest à sa guise. Le Fédéral partageait en gros la vision manitobaine : la frontière interprovinciale devrait se situer aux alentours de la Baie du Tonnerre (Thunder Bay). Mais Queen’s Park visait le lac des Bois, au moins jusqu’à Portage-aux-Rats, Rat Portage rebaptisée Kenora par souci d’attraction.
L’enjeu territorial était facile à cerner : la construction du chemin de fer avait permis d’obtenir une bien meilleure idée des ressources naturelles de cette vaste région forestière. Le potentiel de mines d’or achevait d’attiser les convoitises.
Si bien que chacune des rivales se mit en frais pour établir une force policière, tandis qu’elles se trainaient mutuellement devant les tribunaux. Le point culminant de la rivalité a été atteint lorsque la région a eu un représentant qui siégeait à Toronto, tandis qu’un autre se retrouvait à la législature manitobaine.
Comble de volonté représentative : les élections aux deux sièges avaient eu lieu le même jour en 1883, permettant ainsi aux électeurs d’envoyer un représentant direction ouest, et un autre direction est.
La comédie s’est finalement conclue en 1884, lorsqu’un Comité judicaire du Conseil privé à Londres trancha en faveur de l’Ontario. Un autre exemple du traitement réservé à la cinquième province canadienne depuis ses débuts.
Ainsi le Manitoba était privé d’un territoire, on peut même dire amputé, car historiquement, la région avait toujours physiquement fait partie du bassin de la rivière Rouge.
Techniquement parlant, la frontière à l’est passe le long du 95e méridien ouest, jusqu’au 52e degré de latitude nord.
Ainsi prenait fin le rêve de devenir une province à la mesure des deux géantes de l’Est : l’Ontario et le Québec. L’extension vers le nord en 1912, qui a donné les frontières actuelles, n’a rien changé à la donne politique.
Sinon que depuis ce temps-là, les Manitobains peuvent se consoler en se disant que la Province du Milieu ressemble symboliquement à une clé de voûte. La fameuse image de la Keystone Province, qui tient ensemble l’arche canadienne.