Par Michel LAGACÉ
Depuis l’avènement des géants du web comme Google et Facebook, les journaux canadiens qui survivent toujours sont aussi menacés de disparition à cause de la perte dramatique de revenus publicitaires qui financent en bonne partie leurs salles de nouvelles. Google et Facebook réussissent à eux seuls à s’accaparer environ 80 % des recettes publicitaires numériques au Canada.
Cette situation est aux antipodes des modèles économiques classiques qui remontent au 18e siècle. C’était l’époque où la logique de l’offre et de la demande pouvait jouer à fond, car de nombreux producteurs se concurrençaient pour s’attirer les consommateurs en offrant leurs produits au plus bas prix possible. Par contre, en ce début du 21e siècle, le problème que posent Google et de Facebook est qu’ils ont atteint une telle efficacité que la saine concurrence n’est plus possible. Les voilà dans une position que les économistes qualifient de monopole naturel.
Le Canada connaît de nombreux exemples de monopoles naturels, surtout dans des secteurs comme l’énergie, le transport et les communications. Déjà, les gouvernements ont agi pour limiter leur puissance. Dans le cas du Manitoba, par exemple, Hydro-Manitoba devait défendre, jusqu’à récemment, ses hausses de tarifs devant la Régie des services publics qui revoyait les propositions de la société de la couronne et fixait les tarifs autorisés.
L’Australie a décidé de contrecarrer l’immense pouvoir monopolistique des géants du web en établissant son propre régime règlementaire. Médias d’Info Canada, l’organisme qui représente des centaines de journaux au pays, s’est inspiré de ce régime pour formuler ses propositions.
Ainsi, les journaux du pays se regrouperaient pour négocier une compensation pour l’utilisation de leur contenu. Une agence fédérale de réglementation des médias numériques encadrerait les plateformes numériques qui seraient tenues de négocier des licences pour ce contenu. Et en cas d’échec des négociations, l’agence convoquerait les parties pour en arriver à un arbitrage contraignant.
Les propositions de Médias d’Info Canada ont l’avantage de n’exiger aucune subvention directe de l’État, subvention qui occasionnerait des dépenses publiques supplémentaires et qui, de plus, pourrait en inciter certains à mettre en doute l’indépendance des journaux.
Bien entendu, dans les cas de Google et de Facebook, les enjeux vont bien au-delà de la protection du consommateur comme dans l’exemple de Hydro-Manitoba. Car le lecteur est appelé à agir comme citoyen et, à l’ère de la désinformation et de fausses nouvelles, le citoyen a besoin de s’informer de sources fiables sur l’actualité locale, nationale et internationale.
C’est pourquoi, devant cet enjeu central, le gouvernement fédéral serait bien avisé de mettre en oeuvre les propositions avancées par Médias d’Info Canada afin de contrecarrer le poids des géants du web. Car, pour demeurer légitime, il incombe au gouvernement fédéral d’assurer le bon fonctionnement du projet démocratique au Canada.