Les lois manitobaines doivent être passées simultanément en anglais et en français pour être valides et pour respecter le droit des francophones du Manitoba. Cette obligation constitutionnelle souligne l’importance de la traduction, puisque les deux versions ont force de loi. Pour éviter les mauvaises interprétations des juges, suivre une méthode de traduction est indispensable.
Entrevue exclusive avec l’expert en traduction juridique et le directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba, Me Guy Jourdain.
Par Ophélie DOIREAU
IJL-Réseau.Presse-La Liberté
Pouvez-vous remettre en contexte l’obligation de promulguer les lois dans les deux langues?
Au niveau fédéral, depuis 1867, il y a eu des garanties constitutionnelles sur la dualité linguistique au sein des institutions législatives et judiciaires. C’était le cas aussi pour la province du Québec.
Ces garanties étaient une reconnaissance de l’égalité des deux peuples européens qui vivaient au Canada. C’était aussi un net progrès pour les Canadiens français.
En effet, presque un quart de siècle avant, les francophones étaient sans garantie…
Oui, Lord Durham recommandait l’assimilation des Canadiens français. On comprend aisément que les francophones voyaient ces garanties comme un progrès.
Et qu’en est-il pour le Manitoba?
En 1870, le Manitoba a été fondé avec quasiment les mêmes garanties linguistiques qu’au niveau fédéral. Je dirais qu’à 85 % ce sont les mêmes mots que les garanties fédérales.
Ce qui est bien triste dans le cas du Manitoba, c’est que ces garanties constitutionnelles ont été en vigueur seulement pendant 20 ans, avant d’être abolies illégalement.
Ce n’est qu’à partir de 1980, suite au fameux cas Forest, qu’on a assisté au rétablissement progressif des garanties linguistiques. »
Et parallèlement à l’importance prise par la traduction juridique…
Oui, le texte de loi en français ou le texte de loi en anglais ont tous les deux la même force devant les tribunaux. Le texte en français n’est pas simplement une traduction pour information : c’est une version officielle de la loi. C’est donc important que les textes soient bien traduits. Les juges prennent en compte les deux versions.
Que se passe-t-il si une loi est mal traduite?
Si une loi est mal traduite, il se peut qu’une erreur judiciaire se produise à cause d’une mauvaise interprétation de l’intention du législateur. Je mets tout de même un bémol à cette possibilité. Un juge tient toujours compte de l’intention du législateur. Il prend le contexte général pour rendre son verdict.
Pourtant des différences d’interprétation entre l’anglais et le français se produisent…
Oui de temps à autres, des cas se rendent en Cour. La Cour du Banc de la Reine va devoir trancher sur la question suivante : Les divisions scolaires du Manitoba ont-elles droit à une exemption d’impôts fonciers pour les immeubles servant à d’autres fins que l’enseignement?
Le texte en anglais stipule que : l’exemption d’impôts fonciers s’applique aux terrains qui sont utilisés pour une école (used for a public school)
Alors que le texte en français stipule que l’exemption d’impôts fonciers s’applique aux terrains qui sont utilisés pour les besoins d’une école. Dans ce cas, le texte en français est plus clair.
Il y a donc une nécessité pour les rédacteurs et les traducteurs des lois de travailler ensemble…
Au Manitoba, c’est le bureau du Conseil législatif qui s’occupe de la rédaction des lois, principalement effectuée par des unilingues anglophones, qui suivent des directives ministérielles.
Ensuite, intervient le service des traducteurs législatif, qui est différent du service général de traduction de la Province.
Ces deux volets travaillent main dans la main pour comprendre les nuances, éclaircir des points d’ombre dans la loi. On appelle cette collaboration : la méthode en tandem.
Est-ce la seule méthode qui existe?
Pendant longtemps, jus-qu’à la fin des années 1970, au gouvernement fédéral on utilisait la méthode de traduction en vase clos. On écrivait la loi en anglais et on la donnait à traduire, sans possibilité d’échanger avec les personnes qui ont rédigé en premier lieu la loi.
Depuis 1979-1980, le gouvernement fédéral a revu sa méthode et utilise désormais la méthode de co-rédaction, qui implique deux rédacteurs : un francophone, souvent spécialisé en droit civil, et un anglophone, souvent spécialisé dans la Common Law. Chaque version est pensée en français ou en anglais, au lieu d’être simplement traduite. Le Nouveau-Brunswick, la seule province officiellement bilingue au pays, procède également ainsi.
Cette méthode donne de très beaux résultats. Bien que la méthode en tandem, lorsque la communication est optimale, donne également de beaux résultats.
(1) Le texte de loi est consultable à : https://web2.gov.mb.ca/laws/statutes/ccsm/_pdf.php?cap=m226