Par:Michel LAGACÉ
Il a fallu l’insensibilité culturelle de Michael Rousseau, le président et chef de la direction d’Air Canada, pour rappeler que les attitudes d’avant la révolution tranquille du Québec ne sont pas révolues. L’anglais était alors la langue des affaires et le français, la langue du petit peuple. En prononçant un discours uniquement en anglais devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le grand patron d’Air Canada a déchaîné avec raison un élan d’indignation dans la classe politique.
Mais ce qui a vraiment provoqué un tollé, c’est son attitude. Non seulement il explique qu’il n’a pas eu le temps d’apprendre le français, mais il se vante en plus d’avoir réussi à vivre à Montréal pendant 14 ans sans avoir à l’apprendre.
D’un seul coup, Michael Rousseau a réussi à faire une rare unanimité entre les Québécois et les francophones à l’extérieur du Québec. Car eux aussi connaissent bien le comportement déplorable d’Air Canada. Ainsi, rappelons que l’ancien Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, soulignait, en 2016, dans son dernier rapport consacré uniquement à Air Canada, que le transporteur aérien avait eu de la difficulté à se conformer à la Loi sur les langues officielles depuis ses débuts en 1969.
Pour comprendre comment Michael Rousseau est devenu le PDG d’Air Canada, on a qu’à regarder qui siège au conseil d’administration de 12 membres de cette société entièrement privatisée en 1989 et assujettie à la Loi sur les langues officielles. Son président, Vagn Sorensen, demeure au Royaume-Uni et trois autres vivent à l’extérieur du Canada. Huit demeurent au Canada, dont l’ancien Premier ministre du Manitoba, Gary Doer, et deux au Québec, en plus de Michael Rousseau lui-même. De toute évidence, un conseil plus préoccupé par l’argent que par des questions linguistiques ou culturelles.
Comme la Loi sur les langues officielles n’a pas encore été modernisée, le Commissaire aux langues officielles n’a toujours qu’un pouvoir de recommandation. Au lieu de se plaindre hypocritement du comportement « inacceptable » de Michael Rousseau, le premier ministre, Justin Trudeau, n’a qu’à constater l’inaction de son gouvernement en matière de langues officielles depuis 2015 pour savoir pourquoi le transporteur national peut agir impunément.
Pourtant, le gouvernement fédéral ne manque pas de moyens d’amener Air Canada à la raison. À preuve : dès février 2020, la compagnie a retenu les remboursements pour les passagers dont les vols avaient été annulés au début de la pandémie. Ces remboursements ont finalement été offerts aux clients en avril dernier, après qu’Ottawa avait consenti un programme d’aide de 5,9 milliards $ à l’entreprise.
En ce qui a trait à la classe politique du Québec, en plus de dénoncer le comportement de Michael Rousseau, elle pourrait bien poser des questions pointues aux membres de la Chambre de commerce qui, en bons colonisés, n’ont pas dénoncé publiquement l’insensibilité dont ils ont été témoins. Et si le Québécois Justin Trudeau veut qu’on le prenne au sérieux, qu’il finisse enfin par moderniser la Loi sur les langues officielles.