Par Michel LAGACÉ
Quarante ans après sa promulgation en 1982, la Charte des droits et libertés s’est imposée comme la partie la plus visible et la plus reconnue de la Constitution canadienne. Elle garantit les droits des individus en les enchâssant, avec certaines limitations, dans la loi suprême du pays.
L’innovation la plus remarquable de la Charte est de soumettre la volonté du Parlement et des assemblées provinciales au contrôle judiciaire. Avant son adoption, la tradition britannique dont le Canada a hérité reposait sur la suprématie parlementaire. Il revenait donc au Parlement d’adopter les lois qui protégeraient les droits de la personne, droits que ce même Parlement pouvait modifier à son gré. Depuis la Charte, par contre, les tribunaux ont l’autorité d’invalider toute loi jugée contraire aux principes constitutionnels.
Il a fallu des compromis considérables pour que la majorité des provinces acceptent la création de la Charte. Ainsi, d’importants droits et libertés qu’elle garantit peuvent être suspendus en invoquant, pour une période de cinq ans, une clause dérogatoire. Mais tout gouvernement qui agit dans ce sens doit en accepter les conséquences politiques.
Un autre développement significatif s’est produit en 1982. Jusqu’alors, la constitution du Canada, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, était une loi adoptée par le Parlement britannique que lui seul pouvait amender. Les provinces et Ottawa se sont entendus sur une formule d’amendement. Dit autrement, depuis quarante ans, le Canada peut à lui seul modifier sa constitution.
Ainsi se poursuivait une longue évolution du modèle de gouvernance du Canada. Une première modification importante a été actée en 1931 lorsque le Statut de Westminster, une loi du Parlement britannique, affirmait l’autonomie canadienne et reconnaissait la quasi-indépendance des colonies britanniques. Un autre pas a été franchi le 1 janvier 1947, lorsque la Loi sur la citoyenneté est entrée en vigueur. Jusqu’alors, les personnes nées au Canada et les immigrants naturalisés étaient réputés sujets britanniques.
Au début des années 1960, un long et houleux débat a éclaté lorsque le gouvernement libéral dirigé par Lester Pearson a proposé un drapeau dépourvu de références coloniales. De nombreux Canadiens ont maintenu l’idée de mettre en vedette l’Union Jack, le drapeau du Royaume-Uni. Malgré cette opposition, l’unifolié a été déployé officiellement le 15 février 1965, et il est devenu au fil des années un symbole reconnu à travers le monde.
Née dans la controverse et le compromis, la Charte a modifié la relation entre le citoyen et l’État, une relation qui continuera encore longtemps d’évoluer. Déjà, elle a permis, entre autres, de renforcer les droits des minorités de langue officielle et de groupes minoritaires et défavorisés. Et c’est surtout là qu’elle est devenue la mesure de l’identité canadienne.