Par Michel LAGACÉ
Quand le Premier ministre du Québec, François Legault, a commenté l’adoption le 24 mai de la Loi 96, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, il a du même souffle voulu justifier l’usage de la clause dérogatoire de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette clause permet au Parlement ou aux législatures de déclarer qu’une loi a effet pour cinq ans même si elle ne respecte pas certains articles de la Charte comme, par exemple, la liberté de conscience et de religion, ou l’égalité devant la loi. François Legault a fait valoir que la vaste majorité des Québécois étaient d’accord avec les mesures qui limitent l’usage de l’anglais devant les tribunaux et dans les services publics. À ses yeux, les droits collectifs priment sur les droits individuels et « le fondement même de notre existence comme peuple francophone en Amérique est en jeu. » Mais en s’appuyant sur l’opinion de la majorité pour justifier l’usage de la clause dérogatoire, il fait fi du fait que la Charte existe pour protéger les minorités et non pas la majorité. En agissant de la sorte, il risque d’en dénaturer le sens.
Quand la clause dérogatoire a été insérée dans la Charte en 1982, il était entendu qu’elle serait utilisée exceptionnellement. Ainsi, lorsqu’en 1988, Robert Bourassa, le Premier ministre du Québec, l’a invoquée pour interdire l’affichage commercial en anglais, il a reconnu le sérieux de sa décision. Il a décrit le dilemme ainsi : « Il nous faut concilier à la fois la protection de la culture française qui est un objectif absolument essentiel et vital pour le Québec et pour le Canada et, en même temps, le respect des droits individuels ». En invoquant la clause dérogatoire, François Legault prétend s’être inspiré de Robert Bourassa. Il y a cependant une grande différence entre les actions des deux Premiers ministres. L’ancien Premier ministre avait agi à contrecoeur à la suite d’un débat public et d’un jugement défavorable de la Cour suprême.
Or François Legault, lui, a choisi d’inclure la clause dans le projet de loi même. Cette utilisation précipitée de la clause a donc empêché tout examen critique dès le dépôt de la loi. Elle a enlevé à la population l’occasion de débattre des mérites du projet de loi et d’entendre le jugement des tribunaux. François Legault a courtcircuité l’essence même du débat démocratique.
On pourrait débattre longtemps du bien-fondé des mesures adoptées dans la loi 96. Mais il faut d’abord et avant tout insister sur le caractère exceptionnel de l’usage de la clause dérogatoire et sur le besoin profondément démocratique de permettre un débat public. Qu’on le comprenne bien : François Legault a remis en cause le sens même de la Charte.