FRANCOPRESSE – Depuis une vingtaine d’années, le Québec multiplie les démarches pour «réintégrer» la francophonie canadienne. Non seulement veut-il en faire partie, mais il veut y jouer un rôle majeur. Pendant ce temps, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada se dit la porte-parole de la francophonie canadienne, à l’exclusion du Québec.
Marc Poirier – Francopresse
Le 20 mars dernier, le Québec dévoilait une nouvelle politique en matière de francophonie canadienne – la troisième du genre – dans laquelle il concrétise son désir de rapprochement et d’échanges renforcés et structurés avec les autres francophones du pays. Le gouvernement du Québec annonce que cette politique «marque une nouvelle ère de la participation du Québec à la francophonie canadienne».
La politique explique clairement qu’elle utilise « le terme francophonie, au singulier, pour marquer l’unité de la francophonie canadienne et traduire la volonté du Québec d’y participer de façon pleine et entière ».
Dans une entrevue accordée à Francopresse lors du lancement de la politique, la ministre québécoise des Relations canadiennes et de la Francophonie canadienne, Sonia LeBel, déclarait que la démarche avait pour but de « rapprocher les francophonies » pour « n’en former qu’une seule au final ».
| De Canadiens français à francophonie canadienne
L’identité des francophones du Canada et la façon de les nommer ont beaucoup évolué au fil du temps.
Au XVIIIe siècle, à l’époque où la France contrôlait le territoire, il y avait en général les Canadiens (ce qui signifiait les francophones du Canada, au début essentiellement le Québec et une partie de l’Ontario) et les Acadiens.
Puis, lorsque la population de langue anglaise a commencé à s’identifier elle aussi par le vocable de « Canadiens », les francophones du Canada sont devenus des « Canadiens français » afin de se distinguer des autres.
L’expression « Canadien français » en est venue à désigner tous les francophones du Canada, sauf les Acadiens qui ont tenu à préserver leur identité particulière.
La désignation « Canadien français » s’est maintenue pendant plusieurs décennies, jusqu’à ce que les Québécois s’en dissocient à la fin des années 1960, un divorce déclaré lors des États généraux du Canada français qui se sont tenus de 1966 à 1969.
Trois grandes identités francophones ont alors émergé au pays : les Acadiens, les Québécois et les Canadiens français, cette dernière expression désignant dorénavant les francophones non Acadiens et non Québécois, quoique certains d’entre eux ont continué de s’en prévaloir.
Selon le sociologue et professeur à l’Université du Québec à Montréal Joseph Yvon Thériault, la société francophone de l’extérieur du Québec n’a jamais accepté ce « retrait » du Québec.
« Les Acadiens avaient une identité propre, alors ils n’ont pas fait beaucoup de cas de ça, mais en Ontario et dans l’Ouest, ils se sont sentis orphelins. Le mot “hors Québec” (conçu plus tard) voulait dire quelque chose. Ça voulait dire qu’on était orphelin de quelque chose qu’on nous avait enlevé, qui était le Canada français », explique Joseph Yvon Thériault.
Comme les Acadiens ne s’associaient pas à l’identité canadienne-française, d’autres mots ont été choisis pour désigner tous les francophones non Québécois.
Il a d’abord été question de « francophones hors Québec », une expression qui s’est retrouvée dans le nom de la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ), organisme fondé en 1975 pour militer au nom des droits des francophones non québécois.
Mais la particule descriptive « hors Québec » a fini par être considérée inadéquate. En effet, les «francophones hors Québec» ont senti le besoin de se définir autrement que par ce qu’ils n’étaient pas.
Ainsi, en 1991, la FFHQ se renouvèle et devient la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).
Cette notion de «communautés francophones (qui exclut par défaut le Québec) s’est bien implantée, en même temps que d’autres dénominations : « minorités francophones », « francophones en situation minoritaire », « francophonie minoritaire », etc.
Mais l’une de ces désignations allait s’imposer : « francophonie canadienne ».
| Francophonie canadienne, une double identité
Ce nouveau vocable gagne en popularité surtout dans les années 1990.
En 1993, la FCFA soumet un mémoire à l’Assemblée nationale du Québec intitulé La francophonie canadienne : un espace à reconnaitre.
En 1995, le Québec dévoile sa première politique touchant les francophones du reste du pays, intitulée Politique du Québec à l’égard des communautés francophones et acadiennes du Canada. Si la désignation « francophones hors Québec » avait encore cours à l’époque, l’expression «francophonie canadienne» s’employait aussi en parallèle, toujours pour désigner les francophones du reste du pays.
En plus de la FCFA, plusieurs organismes francophones voient le jour et comptent des membres spécifiquement de l’extérieur du Québec. Certains optent pour se définir comme faisant partie de la « francophonie canadienne », comme l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC), tandis que d’autres se décrivent comme étant « canadiens français », comme la Fédération culturelle canadienne-française (fondée en 1997 sous le nom Fédération des Canadiens français et adoptant son nom actuel en 1989) et la Fédération de la jeunesse canadienne-française (fondée en 1974; elle a maintenu son nom d’origine depuis).
Mais au tournant du siècle, « francophonie canadienne » viendra à désigner de plus en plus, dans d’autres espaces, tous les francophones du pays, y compris ceux et celles du Québec.
C’est le cas, par exemple, de la Conférence ministérielle sur les affaires francophones qui, en 2005, change de nom – à l’initiative du Québec d’ailleurs – pour devenir la Conférence ministérielle sur la francophonie canadienne (qui, à son tour, deviendra en 2021 le Conseil des ministres sur la francophonie canadienne).
Cette nouvelle définition pancanadienne de la francophonie canadienne sera renforcée par les efforts du Québec pour se rapprocher des autres francophones du pays.
Déjà en 2004, le ministre québécois responsable de la Francophonie canadienne, Benoît Pelletier, affirmait que le Québec «était de retour» au sein de la francophonie canadienne.
Cette intention a été réitérée en 2006 dans la deuxième politique du Québec en matière de francophonie canadienne. Le premier ministre de l’époque, Jean Charest, y déclarait la volonté du Québec de « redevenir membre à part entière » de la francophonie canadienne. Cette politique précise même que le Québec voulait y « jouer un rôle de leader et de rassembleur ».
La troisième politique du Québec en matière de francophonie canadienne, présentée en mars dernier, est sans équivoque : la «francophonie canadienne» y est désignée comme une entité qui « embrasse l’ensemble du territoire canadien ».
D’ailleurs, le commissaire aux langues officielles du Canada et d’autres institutions donnent aussi le même sens à cette désignation.
Mais si la francophonie canadienne devient une fois pour toutes une notion qui englobe tous les francophones du pays, que penser alors de la FCFA qui se décrit comme le «porte-parole principal de la francophonie canadienne dans neuf provinces et trois territoires»?
Y aurait-il maintenant deux francophonies canadiennes? Le sociologue Joseph Yvon Thériault avance une théorie : « On pourrait imaginer un double niveau, c’est-à-dire qu’au niveau identitaire d’être de la francophonie canadienne, puis au niveau politique d’être de la francophonie minoritaire du Canada. »
Alors, une question se pose : si les francophones de l’extérieur du Québec ont dû se redéfinir quand les Québécois ont choisi de faire bande à part dans les années 1960, devront-ils se redéfinir à nouveau parce que le Québec revient dans le giron?